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ORAISON FUNÈBRE

par la bouche d’aultruy, ainsi que fait le menestrier.

Elle eust bien peu avec d’aulcunes caquetter devant son mari ; elle eust peu luy rompre propos quand il eust parlé ; elle eust peu usurper son auctorité ; elle eust peu contredire à son commandement, mais le recognoissoit avec Sara comme son seigneur, l’honoroit, luy obéisseoit comme à son chef ; je dy qu’elle gaigneoit sa grâce & s’i entretenoit par toute humilité & obéissance. Quand il commandeoit quelque chose, si tost ne l’avoit dit qu’il estoit faict, car jamais ne lui contredisoit & tant l’aimeoit quelle n’a craint d’entretenir sa grâce à son détriment & dommage.

Je dy au péril de sa vie, car, ayant Henry délibéré changer l’air de France & se retirer en son pais de Bearn, combien que desjà elle eust assés expérimenté le gros air de ceste région là estre insalubre à son tempérament & que ses Médecins, la menaceants du danger de mort, à toute force luy voulussent dissuader d’y aller ; toutefois elle ayma mieuls suivre le Roy son mari & s’exposer au péril de mort, qui luy estoit présent & auquel elle est depuis tumbée, que de laisser à la postérité désirer en elle aulcunc partie de l’office & devoir d’une bonne, sage & prudente femme. Viennent à ce mirouer nos femmes d’aujourd’huy, s’y mirent, y contemplent leur ame & comparent leur vie à celle de ceste tant magnanime Princesse.

Ô quelle honte hauront nos babillardes, qui de Savatières se font grandes Dames &, encores qu’elles soient descendues de basse maison & mariées à des nobles & illustres personnes ausquels elles doivent tout ce qu’elles sont, ce néantmoins ce sont de glorieuses coquardes, qui ne portent honneur à leurs maris, & n’en tiennent compte non plus que de simples Charbonniers, &, tant à la maison