Page:Margueritte - À la mer, 1906.djvu/41

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l’impression que ce n’était pas cela et qu’il ne parvenait point à l’aisance naturelle et simple qu’il rêvait. Sa façon de regarder les gens s’en ressentait : tantôt, croisant un groupe, il baissait le nez devant les yeux clairs d’une jeune femme ou le sourire — moqueur, croyait-il — d’un beau garçon à moustaches ; tantôt il toisait les passants, de haut, avec une hardiesse feinte ; et toujours, comme une obsession, il croyait sentir sur lui les regards des gens, ceux des vitrines de boutiques, ceux des fenêtres closes ; parfois une chaleur à la nuque lui donnait la sensation de quelqu’un l’épiant et le bafouant par derrière. Il se demandait s’il n’avait pas en lui quelque chose de risible, avait envie de se passer la main sur le dos pour y effacer le signe à la craie tracé par un mauvais plaisant imaginaire, se tourmentait de savoir s’il ne s’était pas mis, par hasard, du noir au bout du nez. Et dans cet accès de « folie du ridicule » qui le hantait, il se sentait tout à coup rougir comme un coquelicot, sans pouvoir s’en empêcher, rougissant au contraire d’autant plus qu’il faisait effort pour distraire sa pensée, la fixer ailleurs. Son amour-propre ulcéré lui infligeait perpétuellement de tels supplices