Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 2.djvu/349

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ce n’est qu’en pratiquant ce qu’elle vous dit là, et qu’en nous séparant quelques fois, que nous continuons de nous aimer, Carise et moi.

ÉGLÉ.

Vraiment, je le crois bien ; cela peut vous être bon à vous autres qui êtes tous deux si noirs, et qui avez dû vous enfuir de peur la première fois que vous vous êtes vus.

AZOR.

Tout ce que vous avez pu faire, c’est de vous supporter l’un l’autre.

ÉGLÉ.

Et vous seriez bientôt rebutés de vous voir si vous ne vous quittiez jamais, car vous n’avez rien de beau à vous montrer ; moi, qui vous aime, par exemple, quand je ne vous vois pas, je me passe de vous ; je n’ai pas besoin de votre présence ; pourquoi ? C’est que vous ne me charmez pas ; au lieu que nous nous charmons, Azor et moi ; il est si beau, moi si admirable, si attrayante, que nous nous ravissons en nous contemplant.

AZOR, prenant la main d’Églé.

La seule main d’Églé, voyez-vous, sa main seule, je souffre quand je ne la tiens pas ; et quand je la tiens, je me meurs si je ne la baise ; et quand je l’ai baisée, je me meurs encore.

ÉGLÉ.

L’homme a raison ; tout ce qu’il vous dit là, je le sens ; voilà pourtant où nous en sommes ; et vous qui parlez de notre plaisir, vous ne savez pas ce que c’est ;