Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 4.djvu/328

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

raison moins austère que compatissante ; j’ai besoin d’un caractère de cœur qui tempère sa sévérité d’indulgence, et vous êtes d’un sexe chez qui ce doux mélange se trouve plus sûrement que dans le nôtre ; ainsi, Madame, écoutez-moi, je vous en conjure par tout ce que vous avez de bonté.

LÉONTINE

Je ne sais ce que présage un pareil discours, mais la qualité d’étranger exige des égards ; ainsi parlez, je vous écoute.

PHOCION

Il y a quelques jours que, traversant ces lieux en voyageur, je vis près d’ici une dame qui se promenait, et qui ne me vit point ; il faut que je vous la peigne, vous la reconnaîtrez peut-être, et vous en serez mieux au fait de ce que j’ai à vous dire. Sa taille, sans être grande, est pourtant majestueuse, je n’ai vu nulle part un air si noble ; c’est, je crois, la seule physionomie du monde où l’on voie les grâces les plus tendres s’allier, sans y rien perdre, à l’air le plus imposant, le plus modeste, et peut-être le plus austère. On ne saurait s’empêcher de l’aimer, mais d’un amour timide, et comme effrayé du respect qu’elle imprime ; elle est jeune, non de cette jeunesse étourdie qui m’a toujours déplu, qui n’a que des agréments imparfaits, et qui ne sait encore qu’amuser les yeux, sans mériter d’aller au cœur : non, elle est dans cet âge vraiment aimable, qui met les grâces dans toutes leurs forces, où l’on jouit de tout ce que l’on est,