Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 6.djvu/291

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me dit, gravement et en termes savants : C’est que notre âme est plus ou moins bornée, plus ou moins embarrassée, suivant la conformation des organes auxquels elle est unie.

Et s’il m’a dit vrai, il fallait que la nature eût donné à Mme Dorsin des organes bien favorables ; car jamais âme ne fut plus agile que la sienne, et ne souffrit moins de diminution dans sa faculté de penser. La plupart des femmes qui ont beaucoup d’esprit ont une certaine façon d’en avoir qu’elles n’ont pas naturellement, mais qu’elles se donnent.

Celle-ci s’exprime nonchalamment et d’un air distrait afin qu’on croie qu’elle n’a presque pas besoin de prendre la peine de penser, et que tout ce qu’elle dit lui échappe.

C’est d’un air froid, sérieux et décisif que celle-là parle, et c’est pour avoir aussi un caractère d’esprit particulier.

Une autre s’adonne à ne dire que des choses fines, mais d’un ton qui est encore plus fin que tout ce qu’elle dit ; une autre se met à être vive et pétillante. Mme Dorsin ne débitait rien de ce qu’elle disait dans aucune de ces petites manières de femme : c’était le, caractère de ses pensées qui réglait bien franchement le ton dont elle parlait. Elle ne songeait à avoir aucune sorte d’esprit, mais elle avait l’esprit avec lequel on en a de toutes les sortes, suivant que le hasard des matières l’exige ; et je crois que vous m’entendrez, si je vous dis qu’ordinairement son esprit n’avait point de sexe, et qu’en même temps ce