Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 7.djvu/222

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pouviez lui pardonner d’avoir manqué de bien et de naissance, répondit-elle ; elle a de la vertu, madame ; tous ceux qui la connaissent vous le diront. Il est vrai que ce n’était pas assez pour être Mme Dursan ; mais je suis bien à plaindre moi-même, si ce n’en est pas assez pour n’être point méprisable.

Eh ! que me dis-tu là, Brunon ? repartit-elle. Encore si elle te ressemblait !

Là-dessus je m’aperçus que Brunon était toute tremblante, et qu’elle me regardait comme pour savoir ce que je lui conseillais de faire ; mais pendant que je délibérais, ma tante, qui se leva sur-le-champ pour venir avec nous, interrompit si brusquement cet instant favorable à la réconciliation, et par là le rendit si court, qu’il était déjà passé quand Brunon jeta les yeux sur moi : ce n’aurait plus été le même, et je jugeai à propos qu’elle se contint.

Il y a de ces instants-là qui n’ont qu’un point qu’il faut saisir ; et ce point, nous l’avions manqué, je le sentis.

Quoi qu’il en soit, nous descendîmes. Aucun de nous n’eut le courage de prononcer un mot ; le cœur me battait, à moi. L’événement que nous allions tenter commençait à m’inquiéter, pour elle : j’appréhendais que ce ne fût la mettre à une trop forte épreuve ; mais il n’y avait plus moyen de s’en dédire, j’avais tout disposé moi-même pour arriver à ce terme que je redoutais ; le coup qui devait la frapper était mon ouvrage ; et d’ailleurs il était sûr que, sans le secours de tant d’impressions que j’allais, pour ainsi dire, assembler sur elle, il ne fallait pas espérer de réussir.