Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 7.djvu/23

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Ah çà ! me dit-elle en riant, je vous laisse. Mais ce n’est plus un enfant sans réflexion que je quitte, comme, vous l’étiez lorsque je suis arrivée ; c’est une fille raisonnable, qui se connaît et qui se rend justice. Eh ! Seigneur, à quoi songiez-vous avec vos soupirs et votre accablement ? ajouta-t-elle. Oh ! je ne vous le pardonnerai pas sitôt, et je prétends vous appeler petite fille encore longtemps à cause de cela.

Je ne pus, à travers ma tristesse, m’empêcher de sourire à ce discours badin, qui ne laissait pas que d’avoir sa force, et qui me disposait tout doucement à penser qu’en effet je m’exagérais mon malheur. Est-ce que nos, amis le prendraient sur ce ton-là avec nous, si le motif de notre affliction était si grave ? Voilà à peu près ce qui s’insinue dans notre esprit, quand nous voyons nos amis n’y faire pas plus de façon en nous consolant.

Là-dessus elle partit. Une sœur converse m’apporta à souper ; elle rangea quelque chose dans ma chambre. Cette bonne fille était naturellement gaie. Allons ; allons, me dit-elle, vous voilà déjà presque aussi vermeille qu’une rose ; notre maladie est bien loin, il n’y paraît plus ne ferez-vous pas un petit tour de jardin après souper ?

Non, lui dis-je. Je me sens fatiguée, et je crois que je me coucherai des que j’aurai mangé.

Eh bien ! à la bonne heure, pourvu que vous dormiez, me répondit-elle ; ceux qui dorment valent bien ceux qui se promènent. Aussitôt elle s’en alla.