Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 7.djvu/382

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Le père et les fils vivaient magnifiquement ; ils avaient pris des noms de terres ; et du véritable, je crois qu’ils ne s’en souvenaient plus eux-mêmes.

Leur origine était comme ensevelie sous d’immenses richesses. On la connaissait bien, mais on n’en parlait plus. La noblesse de leurs alliances avait achevé d’étourdir l’imagination des autres sur leur compte ; de sorte qu’ils étaient confondus avec tout ce qu’il y avait de meilleur à la cour et à la ville. L’orgueil des hommes, dans le fond, est d’assez bonne composition sur certains préjugés ; il semble que lui-même il en sente le frivole.

C’était là leur situation, quand je vins au monde. La terre seigneuriale, dont mon père était le fermier, et qu’ils avaient acquise, n’était considérable que par le vin qu’elle produisait en assez grande quantité.

Ce vin était le plus exquis du pays, et c’était mon frère aîné qui le conduisait à Paris, chez notre maître, car nous étions trois enfants, deux garçons et une fille, et j’étais le cadet de tous.

Mon aîné, dans un de ces voyages à Paris, s’amouracha de la veuve d’un aubergiste, qui était à son aise, dont le cœur ne lui fut pas cruel, et qui l’épousa avec ses droits, c’est-à-dire avec rien.