Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 7.djvu/391

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l’avoir pour une fille aussi charmante que vous ; j’entends que c’est bien dommage que je ne sois qu’un chétif homme ; car, mardi, si j’étais roi, par exemple, nous verrions un peu qui de nous deux serait reine, et comme ce ne serait pas moi, il faudrait bien que ce fût vous : Il n’y a rien à refaire à mon dire.

Je te suis bien obligée de pareils sentiments, me dit-elle d’un ton badin, et si tu étais roi, cela mériterait réflexion. Pardi ! lui dis-je, mademoiselle, il y a tant de gens par le monde que les filles aiment, et qui ne sont pas rois ; n’y aura-t-il pas moyen quelque jour d’être comme eux ?

Mais vraiment, me dit-elle, tu es pressant ! où as-tu appris à faire l’amour ? Ma foi ! lui dis-je, demandez-le à votre mérite ; je n’ai point eu d’autre maître d’école, et comme il me l’a appris, je le rends.

Madame, là-dessus, appela Geneviève, qui me quitta très contente de moi, à vue de pays, et me dit en s’en allant : Va, Jacob, tu feras fortune, et je le souhaite de tout mon cœur.

Grand merci, lui dis-je, en la saluant d’un coup de chapeau qui avait plus de zèle que de bonne grâce ; mais je me recommande à vous, mademoiselle, ne m’oubliez pas, afin de commencer toujours ma fortune, vous la finirez quand vous pourrez. Cela dit, je pris la lettre, et la portai à la poste.

Cet entretien que je venais d’avoir avec Geneviève me mit dans une situation si gaillarde, que j’en devins encore plus divertissant que je ne l’avais été jusque-là.