Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1827, tome 8.djvu/192

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suis exposé à la douleur de voir finir le vôtre, sans qu’il y ait de votre faute et que je puisse m’en plaindre ; mais n’importe, ne m’aimassiez-vous qu’un jour, ces beaux yeux noirs qui m’enchantent ne dussent-ils jeter sur moi qu’un seul regard un peu tendre, je me croirais encore trop heureux.

Et moi qui l’écoutais, vous ne sauriez vous figurer de quelle beauté je les trouvais dans ma colère, ces beaux yeux noirs dont il faisait l’éloge.

C’est bien à vous, vraiment, à parler de fidélité ! lui dit-elle. M’aimeriez-vous aujourd’hui si vous n’étiez pas un inconstant ? N’était-ce pas une autre que moi que vous cherchiez ici ? Je ne vous demanderai point qui elle est, vous êtes trop honnête homme pour me le dire, et je ne dois pas le savoir ; mais je suis persuadée qu’elle est aimable, et vous la quittez pourtant, cela est-il de bon augure pour moi ?

Que vous vous rendez peu de justice, et quelle comparaison vous faites ! répondit-il. Y avait-il six mois que je vous voyais avant que je vous aimasse ? Quelle différence entre une personne qu’on aime, parce qu’on ne saurait faire autrement, parce qu’on est né avec un penchant naturel et invincible pour elle (c’est de vous que je parle), et une femme à qui on ne s’arrête que parce qu’il faut faire quelque chose, que parce que c’est une de ces coquettes qui s’avisent de s’adresser à vous, qui ne sauraient se passer d’amants ; à qui on parle d’amour sans qu’on les aime ; qui s’imaginent vous aimer elles-mêmes seulement parce qu’elles vous le disent, et qui s’engagent