Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/126

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De ce plaisir-là, madame Dutour s’en donna sans discrétion. Attends, attends, ivrogne, avec ton fichu des dimanches : tu vas voir la Perrette qu’il te faut ; je vais te la montrer, moi, s’écria-t-elle en courant se saisir de son aune qui était à côté du comptoir.

Et quand elle fut armée : Allons, sors d’ici s’écria-t-elle, ou je te mesure avec cela, ni plus ni moins qu’une pièce de toile, puisque toile il y a. Jarnibleu ! ne me frappez pas, lui dit le cocher qui lui tenait le bras ; ne soyez pas si osée ! je me donne au diable, ne badinons point ! Voyez-vous ! je suis un gaillard qui n’aime pas les coups, ou la peste m’étouffe ! Je ne vous demande que mon dû, entendez-vous ? il n’y a pas de mal à ça.

Le bruit qu’ils faisaient attirait du monde ; on s’arrêtait devant la boutique. Me laisseras-tu ! lui disait madame Dutour, qui disputait toujours son aune contre le cocher. Levez-vous donc, Marianne ; appelez M. Richard ; monsieur Richard ! criait-elle tout de suite elle-même et c’était notre hôte qui logeait au second et qui n’y était pas. Elle s’en douta. Messieurs, dit-elle en apostrophant la foule qui s’était arrêtée devant la porte, je vous prends tous à témoin ; vous voyez ce qu’il en est, il m’a battue (cela n’était pas vrai), je suis maltraitée. Une femme d’honneur comme moi ! Eh vite, eh vite, allez chez le commissaire : il me connaît bien, c’est moi qui le fournis ; on n’a qu’à lui dire que c’est chez madame Dutour. Courez-y, madame Catau ; courez-y, ma mie, criait-elle à une servante du voisinage ; le tout avec une cornette que les secousses que le cocher donnait à ses bras avaient rangée de travers.

Elle avait beau crier, personne ne bougeait, ni messieurs, ni Catau.

Le peuple à Paris n’est pas comme ailleurs. En d’autres endroits, vous le verrez quelquefois commencer par être méchant, et puis finir par être humain. Se querelle-t-on, il excite, il anime : veut-on se battre, il sépare. En d’autres pays, il laisse faire, parce qu’il continue d’être méchant.