Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/145

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forte pension que vous y paierez (car vous mangerez avec eux), à la parure qu’ils vous verront, à l’ameublement que vous aurez dans deux jours, aux maîtres que je vous donnerai : maître de danse, de musique, de clavecin, comme il vous plaira ; ce qui joint, dis-je, à la façon dont j’en agirai avec vous quand j’irai vous voir, achèvera de vous rendre totalement la maîtresse chez eux ; n’est-il pas vrai ? Il n’y a point à hésiter, ne perdons point de temps, Marianne ; et pour préparer la Dutour à votre sortie, dites-lui ce soir que vous ne vous sentez pas propre à son négoce, et que vous allez dans un couvent où, demain matin, on doit vous mener sur les dix heures ; en conformité de quoi je vous enverrai la femme de l’homme en question, qui viendra en effet vous prendre avec un carrosse, et qui vous conduira chez elle, où vous me trouverez. N’en êtes-vous pas d’accord, dites ? et ne voulez-vous pas bien aussi que, pour vous encourager, pour vous prouver la sincérité de mes intentions (car je ne veux pas que vous ayez le scrupule de m’en croire totalement sur ma parole), ne voulez-vous pas bien, dis-je, qu’en attendant mieux, je vous apporte demain un petit contrat de cinq cents livres de rente ? Parlez, ma belle enfant, serez-vous prête demain ? viendra-t-on ? oui, n’est-ce pas ?

D’abord je ne répondis rien ; une indignité si déclarée me confondait, me coupait la parole, et je restais immobile, les yeux baissés et mouillés de larmes.

À quoi rêvez-vous donc, ma chère Marianne ? me dit-il : le temps nous presse, la Dutour va rentrer ; en est-ce fait, en parlerai-je ce soir à mon homme ?

À ces mots, revenant à moi : Ah ! monsieur, m’écriai-je, on ne vous connaît donc pas ; ce religieux qui m’a menée à vous m’a dit que vous étiez un si honnête homme !

Mes pleurs et mes soupirs m’empêchèrent d’en dire davantage. Eh ! ma chère enfant, me dit-il, quelle fausse idée vous faites-vous des choses ! Hélas ! lui-même, s’il savait mon amour, n’en serait point si surpris que vous vous le figurez, et n’en estimerait pas moins mon caractère ; il vous