Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/151

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terre, Dieu me pardonne ! eh ! mon Dieu est-ce qu’on l’a battue ?

Ce qu’elle demandait avec plus de bruit que nous n’en avions fait.

Non, non, dit M. de Climal, qui se hâta de répondre de peur que je n’en vinsse à une explication. Je vous dirai de quoi il est question : ce n’est qu’un malentendu de sa part qui m’a fâché, et qui ne me permet plus de rien faire pour elle ; je vous paierai pour le peu de temps qu’elle a passé ici ; mais de celui qu’elle y passera à présent, je n’en réponds plus.

Quoi ? lui dit madame Dutour d’un air inquiet, vous ne continuez pas la pension de cette pauvre fille, eh ! comment, voulez-vous donc que je la garde ?

Eh ! madame, n’en soyez point en peine, je ne serai point à votre charge ; et Dieu me préserve d’être à la sienne ! dis-je à mon tour, d’un fauteuil où je m’étais assise sans savoir ce que je faisais, et où je pleurais sans les regarder ni l’un ni l’autre. Quant à lui, il s’esquivait pendant que je parlais ainsi, et je restai seule tête à tête avec la Dutour, qui, toute déconfortée, croisait les mains d’étonnement, et disait : Quel charivari ! Et puis s’asseyant : N’est-ce pas là de la belle besogne que vous avez faite, Marianne ? Plus d’argent, plus de pension, plus d’entretien ! accommode-toi, te voilà sur le pavé, n’est-ce pas ? Le beau coup d’état ! la belle équipée ! Oui, pleurez à cette heure, pleurez ; vous voilà bien avancée ! Quelle tête à l’envers !

Eh ! laissez-moi, madame, lui dis-je : vous parlez sans savoir de quoi il s’agit. Oui, je t’en réponds, sans savoir ! ne sais-je pas que vous n’avez rien ? n’est-ce pas en savoir assez ! Qu’est-ce qu’elle veut dire avec sa science ? Demandez-moi où elle ira à présent ; c’est là ce qui me chagrine. Moi, je parle par amitié ; et puis c’est tout : car, si j’avais le moyen de vous nourrir, pardi on s’embarrasserait beaucoup de M. de Climal. Eh ! merci de ma vie, je vous dirais : Ma fille, tu n’as rien ; eh bien ! moi, j’ai plus qu’il ne faut ; va, laisse-le aller, et ne t’inquiète pas ; qui en a pour quatre