Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/182

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Ensuite je présentai ce papier à ma future bienfaitrice, qui, après l’avoir lu en riant, et d’un air qui semblait dire, je n’ai que faire de cela, le donna à travers la grille à la prieure, et lui dit : Tenez, ma mère, je crois que vous serez de mon avis, c’est que quiconque écrit de ce ton-là ne craint rien.

À merveille, reprit la religieuse quand elle en eut fait la lecture, à merveille, on ne peut rien de mieux ; et sur-le-champ, pendant que je mettais le dessus de la lettre, elle sonna pour faire venir la tourière.

Celle-ci arriva, salua fort respectueusement la dame, qui lui dit : À propos, j’ai vu votre sœur à la campagne, on est fort content d’elle où je l’ai mise, et j’ai quelque chose à vous en dire, ajouta-t-elle en la tirant un moment à quartier pour lui parler. Je présumai encore que j’étais cette sœur dont elle l’entretenait, et qu’il s’agissait de quelques ordres qui me regardaient ; et deux ou trois mots, comme, oui, madame, laissez-moi faire, prononcés tout haut par la tourière, qui me regardait beaucoup, me le prouvèrent.

Quoi qu’il en soit, cette fille prit le billet, partit, et revint une petite demi-heure après. Ce qui fut dit entre la dame, la prieure et moi pendant cet intervalle de temps, je le passe : voici la tourière de retour ; j’oublie pourtant une circonstance, c’est qu’avant qu’elle rentrât dans le parloir, une autre fille de la maison vint avertir la dame qu’on souhaitait lui dire un mot dans le parloir voisin. Elle y alla, et n’y resta que cinq ou six minutes ; à peine était-elle revenue, que nous vîmes paraître la tourière, qui apparemment venait de la quitter, et qui, avec une gaîté de bon augure, et débutant par un enthousiasme d’amitié pour moi, m’adressa d’abord la parole.

Ah ! sainte mère de Dieu, que je viens d’entendre dire du bien de vous, mademoiselle ! allez, je l’aurais deviné, vous avez bien la mine de ce que vous êtes. Madame, vous ne sauriez croire tout ce qu’on m’en vient de raconter ; c’est qu’elle est sage, vertueuse, remplie d’esprit, de bon cœur,