Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/195

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m’obéira de reste. Je baissai encore les yeux, en disant très sincèrement que j’étais confuse et charmée.

Madame de Miran regarda de suite à sa montre : Il est plus tard que je ne croyais, dit-elle, et il faut que je m’en aille bientôt. Je ne vous vois aujourd’hui qu’en passant, Marianne ; j’ai beaucoup de visites à faire : d’ailleurs je me sens abattue et veux rentrer de bonne heure chez moi. Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit, j’ai eu mille choses dans l’esprit qui m’en ont empêchée.

Mais en effet, madame, repris-je, j’ai cru vous voir un peu triste (et cela était vrai), et j’en ai été inquiète ; est-ce que vous auriez du chagrin ?

Oui, reprit-elle, j’ai un fils qui est un fort honnête homme, dont j’ai toujours été très contente, et dont je ne le suis pas aujourd’hui. On veut le marier, il se présente un parti très avantageux pour lui. Il est question d’une fille riche, aimable, fille de condition, dont les parents paraissent souhaiter que le mariage se fasse ; mon fils lui-même, il y a plus d’un mois, a consenti que des amis communs s’en mêlassent. On l’a mené chez la jeune personne, il l’a vue plus d’une fois, et depuis quelques semaines il néglige de conclure. Il semble qu’il ne s’en soucie plus ; et sa conduite me désole, d’autant plus que c’est une espèce d’engagement que j’ai pris avec une famille considérable, à qui je ne sais que dire pour excuser la tiédeur choquante qu’il montre aujourd’hui.

Elle ne durera pas, je ne saurais le croire, reprit madame Dorsin, et je vous le répète, votre fils n’est point un étourdi ; c’est un jeune homme qui a de l’esprit, de la raison, de l’honneur. Vous savez sa tendresse, ses égards et son respect pour vous, et je suis persuadée qu’il n’y a rien à craindre. Il viendra demain dîner chez moi ; il m’écoute ; laissez-moi faire, je lui parlerai : car de dire que cette petite fille tient on vous a parlé, et qu’il a rencontrée en revenant de la messe, l’ait dégoûté du mariage en question, je vous l’ai déjà dit, c’est ce qui ne m’entrera jamais dans l’esprit.

En revenant de la messe, madame ! dis-je alors un peu étonnée à cause de la conformité que cette aventure avait