Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/206

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hommes qui sont sots, qui pensent mal, et à qui pourtant je dois compte de mes actions là-dessus ; ne pardonnent point aux disgrâces dont vous souffrez, et qu’ils appellent des défauts.

La raison vous choisirait, la folie des usages vous rejette. Tout ce détail, je vous le fais par amitié, et afin que vous ne regardiez pas les secours que je vous demandé contre l’amour de Valville, comme un sujet d’humiliation pour vous.

Eh ! mon Dieu, madame, ma chère mère (puisque vous m’accordez la permission de vous appeler ainsi), que vous êtes bonne et généreuse ! m’écriai-je en me jetant à ses genoux, d’avoir tant d’attention, tant de ménagement pour une pauvre fille qui n’est rien, et qu’une autre personne que vous ne pourrait plus souffrir ! Eh ! mon Dieu, où serais-je sans la charité que vous avez pour moi ; songez-vous que sans ma mère j’aurais actuellement la confusion de demander ma vie à tout le monde ? et malgré cela, vous avez peur de m’humilier : y a-t-il un cœur comme le vôtre ?

Eh ! ma fille, s’écria-t-elle à son tour, qui est-ce qui n’aurait pas le cœur bon avec toi, chère enfant ? tu m’enchantes. Oh ! elle vous enchante, à la bonne heure, dit alors madame Dorsin : mais finissez toutes deux, car je n’y saurais tenir, vous m’attendrissez trop.

Revenons donc à ce que nous disions, reprit ma bienfaitrice. Puisque nous décidons qu’elle parlera à Valville, attendra-t-elle qu’il revienne la voir ? ou, pour aller plus vite, ne vaut-il pas mieux qu’elle lui écrive de venir ?

Sans difficulté, dit madame Dorsin ; qu’elle écrive : mais je suis d’avis auparavant que nous sachions ce qu’il lui dit dans la lettre que vous tenez, et que vous avez lue tout bas ; c’est ce qui règlera ce que nous devons faire. Oui, dis-je aussi d’un air simple et naïf, il faut voir ce qu’il pense, d’autant plus que j’ai oublié de vous dire que je lui écrivis le jour que je vins ici, une heure avant que d’y entrer. Eh ! pourquoi, Marianne ? me dit madame de Miran.

Hélas ! par nécessité, madame, répondis-je ; c’est que je