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nais qu’il y avait tant de mystères dans la politesse des gens du monde, et qui l’avais regardée comme une science qui m’était totalement inconnue et dont je n’avais nul principe, j’étais bien surprise de voir qu’il n’y avait rien de si particulier dans la leur, rien qui me fût si étranger ; mais seulement quelque chose de liant, d’obligeant et d’aimable.

Il me semblait que cette politesse était celle que toute âme honnête, que tout esprit bien fait trouve qu’il a en lui, dès qu’on la lui montre.

Mais nous voici chez madame Dorsin, aussi bien qu’aux dernières pages de cette partie de ma vie ; c’est ici où j’ai dit que je ferais le portrait de cette dame : j’ai dit aussi, ce me semble, qu’il serait long, et c’est de quoi je ne réponds plus. Peut-être sera-t-il court ; car je suis lasse. Tous ces portraits me coûtent : voyons celui-ci pourtant.

Madame Dorsin était beaucoup plus jeune que ma bienfaitrice : il n’y a guère de physionomie comme la sienne ; et jamais aucun visage de femme n’a tant mérité que le sien qu’on se servît de ce terme de physionomie pour le définir et pour exprimer tout ce qu’on en pensait en bien.

Ce que je dis là signifie un mélange avantageux de mille choses dont je ne tenterai pas de détail.

Cependant voici en gros ce que j’en puis expliquer. Madame Dorsin était belle, encore n’est-ce pas là dire ce qu’elle était ; ce n’aurait pas été la première idée qu’on eût eue d’elle ; en la voyant on avait quelque chose de plus pressé à sentir : voici un moyen de me faire entendre.

Personnifions la beauté, et supposons qu’elle s’ennuie d’être si sérieusement belle, qu’elle veuille essayer du seul plaisir de plaire, qu’elle tempère sa beauté sans la perdre, et qu’elle se déguise en grâces ; c’est à madame Dorsin qu’elle voudra ressembler : et voilà le portrait que vous devez vous faire de cette dame.

Ce n’est pas là tout ; je ne parle ici que du visage, tel que vous l’auriez pu voir dans un tableau de madame Dorsin.

Ajoutez à présent une âme qui passe à tout moment sur