Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/271

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ils m’embarrassèrent, et je n’y sus point d’autre remède que de la regarder à mon tour, pour la faire cesser ; quelquefois cela réussit, et vous délivre de l’importunité dont je souffrais.

En effet, cette dame me laissa là, mais ce ne fut que pour un moment ; elle revint bientôt de plus belle, et me persécuta.

Tantôt c’était mon visage, tantôt ma cornette, et puis mes habits, ma taille, qu’elle examinait.

Je toussai par hasard ; elle en redoubla d’attention pour observer comment je toussais. Je tirai mon mouchoir ; comment m’y prendrai-je ? ce fut encore un spectacle intéressant pour elle, un nouvel objet de curiosité.

Valville était à côté d’elle ; la voilà qui tout d’un coup se retourne pour lui parler, et qui lui demande : Qui est cette demoiselle-là ?

Je l’entendis ; les gens comme elle ne questionnent jamais aussi bas qu’ils croient le faire ; ils y vont si étourdiment, qu’ils n’ont pas le temps d’être discrets. C’est une demoiselle de province, et qui est la fille d’une des meilleures amies de ma mère, lui répondit Valville assez négligemment. Ah, ah de province, reprit-elle ; et la mère est-elle ici ? Non, repartit-il encore ; cette demoiselle-ci est dans un couvent à Paris. Ah ! dans un couvent ! Est-ce qu’elle a envie d’être religieuse ? Et dans lequel est-ce ? Ma foi, dit-il, je n’en sais pas le nom. C’est peut-être qu’elle y a quelque parente, continua-t-elle. Elle est fort jolie, vraiment, très jolie ; ce qu’elle disait en entrecoupant chaque question d’un regard sur ma figure. À la fin elle se lassa de moi, et me quitta pour examiner le magistrat, qu’elle connaissait pourtant, mais dont le silence et la tristesse lui parurent alors dignes d’être considérés.

Voilà qui est bien épouvantable, lui dit-elle après ; cet homme qui se meurt, et qui se portait si bien (qui est-ce qui l’aurait cru ?), il n’y a que dix jours que nous dînâmes ensemble.

C’était de M. de Climal qu’elle parlait. Mais, dites-moi,