Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/284

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Gardez donc votre estime et votre amitié pour elle ; conservez-moi mon épouse, conservez-vous l’amie la plus digne de vous, une amie d’un mérite et d’un cœur que vous ne trouverez nulle part ; d’un cœur que vous allez acquérir tout entier, sans compter le mien, et dont la reconnaissance sera éternelle et sans bornes. Mais ce n’est pas assez que de ne point divulguer notre secret ; il y avait tout à l’heure ici une femme de chambre qui a tout entendu ; il faut la gagner, il faut se hâter.

C’est à quoi je songeais, dit mademoiselle de Fare qui l’interrompit, et qui tira le cordon d’une sonnette ; et je vais y remédier. Tranquillisez-vous, monsieur, et fiez-vous à moi. Voici un récit qui m’a remuée jusqu’aux larmes ; j’avais beaucoup d’estime pour vous, vous venez de m’en donner davantage. Je regarde aussi madame de Miran, dans cette occasion-ci, comme la femme du monde la plus respectable ; je ne saurais vous dire combien je l’aime, combien son procédé me touche, et mon cœur ne le cédera pas au sien. Essuyez vos pleurs, ma chère amie, et ne songeons plus qu’à nous lier d’une amitié qui dure autant que nous, ajouta-t-elle en me prenant la main, sur laquelle je me jetai, que je baisai, que j’arrosai de mes larmes, d’un air qui n’était que suppliant, reconnaissant et tendre, mais point humilié.

Cette amitié que vous me faites l’honneur de me demander, me sera plus chère que ma vie ; je ne vivrai que pour vous aimer tous deux, vous et Valville, lui dis-je à travers des sanglots que m’arracha l’attendrissement où j’étais.

Je ne pus en dire davantage ; mademoiselle de Fare pleurait aussi en m’embrassant, et ce fut en cet état que la surprit la femme de chambre dont je vous ai parlé, et qui venait savoir pourquoi elle avait sonné.

Approchez, Favier, lui dit-elle du ton le plus imposant ; vous avez de l’attachement pour moi, du moins il me le semble. Quoi qu’il en soit, vous avez vu ce qui s’est passé avec cette marchande ; je vous perdrai tôt ou tard, si jamais il vous échappe un mot de ce qui s’est dit ; je vous perdrai ;