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SIXIÈME PARTIE


Je vous envoie, madame, la sixième partie de ma vie ; vous voilà fort étonnée, n’est-il pas vrai ? est-ce que vous n’avez pas encore achevé de lire la cinquième ? Quelle paresse ! Allons, madame, tâchez donc de me suivre, lisez du moins aussi vite que j’écris.

Mais, me dites-vous, d’où peut venir en effet tant de diligence, vous qui jusqu’ici n’en avez jamais eu, quoique vous m’ayez toujours promis d’en avoir ?

C’est que ma promesse gâtait tout. Cette diligence alors était comme d’obligation, je vous la devais, et on a de la peine à payer ses dettes. À présent que je ne vous la dois plus, que je vous ai dit qu’il ne fallait plus y compter, je me fais un plaisir de vous la donner pour rien ; cela me réjouit. Je m’imagine être généreuse, au lieu que je n’aurais été qu’exacte ; ce qui est bien différent.

Reprenons le fil de notre discours. J’ai l’histoire d’une religieuse à vous raconter : je n’avais pourtant résolu de vous parler que de moi, et cet épisode n’entrait pas dans mon plan ; mais puisque vous m’en paraissez curieuse, que je n’écris que pour vous amuser, et que c’est une chose que je trouve sur mon chemin, il ne serait pas juste de vous en priver. Attendez un moment, je vais bientôt rejoindre cette religieuse en question, et ce sera elle qui vous satisfera.

Vous m’avouez, au reste, que vous avez laissé lire mes aventures à plusieurs de vos amis. Vous me dites qu’il y en a quelques-uns à qui les réflexions que j’y fais souvent n’ont pas déplu ; qu’il y en a d’autres qui s’en seraient bien passés. Je suis à présent comme ces derniers, je m’en passerais bien aussi, ma religieuse de même ; ce ne sera pas une babillarde comme je l’ai été ; elle ira vite, et quand ce sera mon tour de parler, je ferai comme elle.