Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/297

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sait qui je suis, répondis-je. Eh ! qui le lui a dit ? s’écria-t-elle sur le champ : comment le sait-elle ? Par le plus malheureux accident du monde, repris-je ; c’est que cette marchande de linge chez qui j’ai demeuré quatre ou cinq jours, est venue par hasard à cette campagne pour y vendre quelque chose, et qu’elle m’y a trouvée.

Eh ! mon Dieu, tant pis ; t’a-t-elle reconnue ? me dit-elle. Oh ! tout d’un coup, repris-je. Eh bien ! achève donc, ma fille, que s’est-il passé ? Qu’elle a voulu, repartis-je, m’embrasser avec cette familiarité qu’elle a crue lui être permise, qu’elle s’est étonnée de me voir si ajustée, qu’elle ne m’a jamais appelée que Marianne ; qu’on lui a dit qu’elle se trompait, qu’elle me prenait pour une autre ; enfin, qu’elle a soutenu le contraire, et que pour le prouver, elle a dit mille choses qui doivent entièrement décourager votre bonne volonté, qui doivent vous empêcher de conclure notre mariage, et me priver du bonheur de vous avoir véritablement pour ma mère. Le tout est arrivé dans ma chambre. Mademoiselle de Fare, qui était présente, mais qui est une personne généreuse, et à qui M. de Valville a tout conté, ne m’en a ni témoigné moins d’estime, ni fait moins d’amitiés ; au contraire : aussi nous a-t-elle promis de garder un secret éternel, et n’a-t-elle rien oublié pour me consoler. Mais je suis née si malheureuse que sa générosité ne servira à rien, ma mère. Est-ce là tout ? Ne t’afflige point, reprit madame de Miran ; si notre secret n’est su que de mademoiselle de Fare, je suis tranquille, et il n’y a rien de gâté ; nous pouvons en toute sûreté nous en fier à elle, et tu as tort de dire que madame de Fare sait qui tu es, il est certain que sa fille ne lui en aura point parlé, et je n’aurais que cette dame à craindre. Eh bien ! ma mère, c’est que madame de Fare est instruite, lui répondis-je ; il y avait là une femme de chambre qui a entendu tout ce que la lingère a dit, et qui lui a tout rapporté ; et ce qui nous l’a persuadé, c’est que cette dame, qui vint ensuite, ne me traita pas aussi honnêtement que la veille ; ses manières étaient bien changées, ma mère, je suis obligée de vous