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On ne vous en laisse point, ma fille, me répondit l’abbesse, et c’est une affaire qu’on veut se hâter de conclure. Vous devez être mariée en très peu de jours, ou vous résoudre à sortir de Paris, pour être conduite on ne m’a pas dit où ; et, si vous m’en croyez, mon avis serait que vous promissiez de prendre le mari en question, à condition que vous le verrez auparavant, que vous saurez quel homme c’est, de quelle part il vient, quelle est sa fortune ; et que vous parlerez même à ceux qui veulent que vous l’épousiez. Ce sont de ces choses qu’on ne peut, ce me semble, vous refuser, quelque envie qu’on ait d’aller vite ; vous y gagnerez du temps : et que sait-on ce qui peut arriver dans l’intervalle ?

Vous avez raison, madame, lui dis-je en soupirant ; c’est là cependant une bien petite ressource ; mais n’importe ; il n’y a donc qu’à dire que je consens au mariage, pourvu qu’on m’accorde tout ce que vous venez de dire ; peut-être quelque événement favorable me délivrera-t-il de la persécution que j’éprouve.

Nous en étions là quand une sœur avertit l’abbesse qu’on l’attendait à son parloir. Ce pourrait bien être de vous qu’il est question, ma fille, me dit-elle ; je soupçonne que c’est votre réponse qu’on vient savoir : en tout cas nous nous reverrons tantôt ; j’ai de bonnes intentions pour vous, ma chère enfant, soyez-en persuadée.

Elle me quitta là-dessus, et je revins dans la chambre où j’avais dîné ; j’y entrai le cœur mort ; je suis sûre que je n’étais pas reconnaissable ; j’avais l’esprit bouleversé ; c’était de ces accablements où l’on est comme imbécile.

Je restai bien une heure dans cet état ; j’entendis ensuite qu’on ouvrait ma porte ; on entra : je regardais qui c’était, ou plutôt j’ouvrais les yeux et ne disais mot. On me parlait, je n’entendais pas. Hein ? quoi ? que voulez-vous ? Voilà tout ce qu’on pouvait tirer de moi. Enfin, on me répéta si souvent que l’abbesse me demandait, que je me levai pour aller la trouver.

Je ne me trompais pas, me dit-elle d’aussi loin qu’elle