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de ses rêves, de ses travaux de chaque jour. Il avait été marié de bonne heure, sa femme était jeune et belle ; elle avait, comme il le dit lui-même, un de ces visages, qu’on aime à voir. La santé même de ce beau visage avait quelque chose de touchant ; c’était le fruit de la sagesse, de la sérénité et de la tranquillité d’âme ; mais cette femme était morte, et Marivaux était resté seul avec un enfant, une fille humble et pieuse qui bientôt quitta son père pour entrer en religion ; et ainsi le digne homme était resté seul, attaché à son œuvre, triste et pauvre, mais fier et calme. De pareilles existences ne ressemblent à rien de ce qui se passe aujourd’hui dans la vie littéraire. Où donc trouver tant de succès et tant de résignation ? Où donc rencontrer ce même homme qui fait vivre tout un théâtre de son esprit, et que Sylvia la comédienne n’avait pas encore vu après les Fausses confidences ! Sylvia reconnut son poète rien qu’à l’entendre lire sa comédie. « Ah s’écrie-t-elle avec son piquant sourire, vous êtes le diable ou M. de Marivaux. » Ce n’était pas le diable ; c’était le plus honnête et le plus spirituel des humains.

De cette vie austère et cachée était résulté une espèce de livre dont Addison avait donné le modèle à l’Angleterre quand il écrivit le Spectateur. L’étude des mœurs a toujours paru dans tous les temps et aux esprits les plus distingués une étude pleine de charme et d’intérêt. Marivaux, mieux que personne, était fait pour entreprendre un livre sur le plan du livre d’Addison. Cette fois, plus que jamais, l’auteur de Marianne va écrire pour lui-même et non pour les autres. Ces belles histoires qu’il se raconte dans ses moments d’oisiveté, vous ne les aurez que de la seconde main et vous en ferez votre profit plus tard, quand lui-même il n’en voudra plus.