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affaire dans la matinée, et de prendre le temps le moins sujet aux visites.

D’ailleurs, on s’était imaginé que madame de Miran ne saurait à qui s’adresser pour apprendre ce que j’étais devenue ; qu’elle ignorait que le ministre eût eu part à mon aventure : mais vous vous rappelez bien la visite que j’avais reçue, il n’y avait que deux ou trois jours, d’une certaine dame maigre, longue et menue ; vous savez aussi que j’en avais sur-le-champ informé madame de Miran ; que je lui avais fait un portrait de cette dame ; qu’elle m’avait écrit qu’à ce portrait elle reconnaissait le spectre en question.

Et ce fut justement cela qui fit que ma mère soupçonna quels étaient les auteurs de mon enlèvement ; ce fut ce qui la guida dans la recherche qu’elle fit de sa fille.

Il fallait bien que mon histoire eût percé ; madame de Fare avait infailliblement parlé ; cette dame longue et maigre avait été instruite ; elle était méchante et glorieuse ; le discours qu’elle m’avait tenu au couvent marquait de mauvaises intentions ; c’était elle apparemment qui avait ameuté les parents, qui les avait engagés à se remuer, pour se garantir de l’affront que madame de Miran allait leur faire en me mettant dans la famille ; et ma disparition ne pouvait être que l’effet d’une intrigue liée entre eux.

Mais m’avaient-ils enlevée de leur chef ? car ils pouvaient n’y avoir employé que de l’adresse. Leur complot n’était-il pas autorisé ? Avaient-ils agi sans pouvoir ?

Un carrosse m’était venu prendre, quelle livrée avait le cocher ? Cette femme qui s’était dite envoyée par ma mère pour me tirer du couvent, quelle était sa figure ? Madame de Miran et son fils s’informent de tout, font d’exactes perquisitions.

La tourière du couvent avait vu le cocher ; elle se ressouvenait de la livrée ; elle avait vu la femme en question, et avait retenu ses traits, qui étaient assez remarquables. C’était un visage un peu large et très brun, la bouche grande et le nez long ; voilà qui était fort reconnaissable. Aussi ma mère et son fils la reconnurent-ils pour l’avoir