Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/384

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n’était que cela qu’il me voulait dire ; et il me le disait d’une façon dont il n’aurait pas été raisonnable de me fâcher.

J’ai tenu cette belle main que je vois dans les miennes, ajouta-t-il encore, je l’ai tenue. Vous me vîtes à vos genoux, quand vous commençâtes à ouvrir les yeux ; j’eus bien de la peine à m’en ôter ; et je m’y jette encore toutes les fois que j’y pense.

Ah ! Seigneur, il s’y jette, m’écriai-je ici ; il s’y jetait pendant que je me mourais ; hélas je suis donc bien effacée de son cœur ! Il ne m’a jamais rien dit de si tendre.

Je ne me rappelle plus ce que je lui répondis, poursuivit-elle ; tout ce que je sais, c’est que je finis par lui dire que je me retirais, qu’un pareil entretien n’avait que trop duré ; et il s’excusa avec un air de soumission et de respect qui m’apaisa.

Je m’étais déjà levée ; il me parla de ma mère, et puis de l’envie que la sienne avait de me voir chez elle ; il me parla encore de madame la marquise de Kilnare, qu’il ne doutait point que je ne connusse, et dont il me dit qu’il était fort connu aussi ; et cette dame est celle chez qui j’ai été trois ou quatre fois depuis votre convalescence. Il ajouta qu’il voyait assez souvent un de ses parents, et qu’ils devaient, je pense, souper ce même soir ensemble. Enfin, lorsque j’allais le quitter : J’oubliais, me dit-il, une lettre que ma mère m’a chargé de vous remettre de sa part, mademoiselle. Il rougit en me la présentant ; je la pris, croyant de bonne foi qu’elle était de madame de Miran ; et point du tout, dès qu’il fut sorti, jugez de ma surprise, elle était de lui. Je l’ouvris en revenant chez vous dans l’intention de vous la porter, je n’en fis pourtant rien ; vous y verrez la raison qui m’en empêcha.

Elle tira cette lettre de sa poche, me la donna toute ouverte, et me dit : Lisez. Je la pris d’une main tremblante, et je n’osais en regarder le caractère. À la fin pourtant je jetai les yeux dessus en la mouillant de mes larmes : Il