Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/425

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peine fut-il prononcé quatre mots pendant qu’il dura ; et il est vrai que les circonstances où nous étions, mademoiselle Varthon et moi, ne donnaient pas matière à une conversation bien animée ; il n’y eut de vif que les regards de madame de Miran sur moi, et que les miens sur elle.

Enfin nous arrivâmes ; ma rivale descendit la première ; nous la suivîmes, madame de Miran et moi ; et madame Dorsin, qui m’embrassa la larme à l’œil, qui m’accabla de caresses et d’assurances d’amitié, resta dans le carrosse.

Mademoiselle Varthon, à qui il tardait d’être débarrassée de nous, sonna, fit un remercîment aussi froid que poli à ma mère : la porte s’ouvrit, et elle nous quitta.

Je me jetai alors entre les bras de madame de Miran, où je restai quelques instants sans force et sans parole.

Cache tes pleurs, me dit-elle tout bas ; j’ai de la peine à retenir les miens. Adieu ; songe que tu es pour jamais ma fille, et que je te porte dans mon cœur. Je viendrai te voir demain ; discours qu’elle me tint de l’air du monde le plus abattu. Après quoi, je rentrai moi-même ; et pour vous rendre un compte bien exact de la disposition d’esprit où j’étais, je vous dirai que je rentrai plus attendrie qu’affligée.

Et, dans le fond, c’était assez là comme je devais être. Je laissais madame de Miran dans la douleur ; madame Dorsin venait de m’embrasser les larmes aux yeux ; mon infidèle lui-même était troublé ; il en avait donné des marques sensibles en nous quittant. Mon aventure remuait donc les trois cœurs qui m’étaient les plus chers, auxquels le mien tenait le plus, et qu’il m’était le plus consolant d’inquiéter. Vous voyez que mon affaire devenait la leur, et ce n’était point là être si à plaindre ; je n’étais donc pas sans secours sur la terre ; on ne m’y faisait point verser de larmes sans conséquence ; j’y voyais du moins des âmes qui honoraient assez la mienne pour s’occuper d’elle, pour se reprocher de l’avoir attristée, ou pour s’affliger de ce qui l’affligeait. Et toutes ces idées-là ont bien de la douceur ; elles en avaient tant pour moi, que je pleurais moins par chagrin, je pense, que par mignardise.