Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/435

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mauvais, qui feront des railleries sur ma naissance inconnue et sur mon peu de fortune. Serez-vous insensible à ce qu’ils diront ? Ne serez-vous pas fâché de ne vous être allié à aucune famille, et de n’avoir pas augmenté votre bien par celui de votre épouse ? C’est à quoi il est nécessaire que vous songiez mûrement, de même que je songerai à ce qui m’en arriverait à moi, si vous alliez vous repentir de votre précipitation. Et puis, monsieur, quand tous ces motifs de réflexion ne m’arrêteraient pas, je n’aurais encore actuellement que la liberté de vous marquer ma reconnaissance, et ne pourrais prendre mon parti sans savoir la volonté de madame de Miran. Je suis sa fille, et même encore plus que sa fille, car c’est son bon cœur à qui j’ai l’obligation de l’avoir pour mère, et non pas la nature : c’est ce bon cœur qui a tout fait ; de sorte que le mien doit lui donner tout pouvoir sur moi ; je suis persuadée que vous êtes de mon avis. Ainsi, monsieur, je l’informerai de la générosité de vos offres, sans pourtant lui dire votre nom, à moins que vous ne me permettiez de vous faire connaître.

Oh ! vous en êtes la maîtresse, mademoiselle, répondit-il ; je me soucie si peu que vous me gardiez le secret, que je serai le premier à me vanter du dessein que j’ai de vous épouser ; et je prétends bien que les gens raisonnables ne feront que m’en estimer davantage, quand même vous me refuseriez ; ce qui ne me ferait aucun tort, et ne signifierait rien, sinon que vous valez mieux que moi. Mais il est temps de vous quitter ; dans une heure au plus tard, ces dames vont venir vous prendre ; vous n’êtes point habillée, et je vous laisse en attendant le bonheur de vous revoir chez madame Dorsin. Adieu, mademoiselle ; je ferai des réflexions, puisque vous le voulez, et seulement pour vous contenter ; je ne suis pas en peine de celles qui me viendront, je ne m’inquiète que des vôtres ; et d’aujourd’hui en huit, je suis ici à pareille heure dans votre parloir, pour vous en demander le résultat, et de celles de madame de Miran, qui me seront peut-être favorables.

Et là-dessus il se retira, sans que je lui répondisse au-