Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/443

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quoi il était question, s’arrêta. Son fils, après avoir mis pied à terre à quelques pas de lui, vint se jeter à ses genoux, les larmes aux yeux, et sans pouvoir prononcer un mot.

Je sais ce qui vous amène, lui dit M. de Tervire, ému lui-même de l’action de son fils. Votre fille a besoin de secours, je viens de lui en envoyer chercher. S’il arrive assez tôt pour elle, je ne laisserai point imparfait le service que j’ai voulu lui rendre, et je ne lui aurai point sauvé la vie pour l’exposer à ne pas vivre heureuse. Allez, Tervire ; votre fille vient tout à l’heure de devenir la mienne : qu’on la porte chez moi ; menez-y votre femme et faites-vous dès aujourd’hui donner au château l’appartement qu’occupait votre mère, et que je vous y trouve logés tous deux quand je reviendrai ce soir. Si madame de Tresle veut bien venir souper avec moi, elle me fera plaisir ; il me tarde déjà de retourner pour changer des dispositions qui ne vous étaient pas favorables ; adieu, je reviendrai de bonne heure ; rejoignez votre fille, et prenez-en soin.

Mon père, qui était toujours resté à ses genoux, et à qui son attendrissement et sa joie ôtaient la force de parler, ne put encore le remercier ici qu’en baignant de ses larmes une main qu’il lui avait tendue, et qu’en élevant les siennes quand il le vit s’éloigner.

Il revint à moi, qu’on avait mise entre les mains de la nourrice qu’il avait amenée, nous conduisit toutes deux au château, où la jardinière qui allait partir me prit ; nous quitta ensuite pour informer sa femme et sa belle-mère d’un événement si consolant, les amena toutes deux chez son père, au devant de qui son impatience le fit aller sur la fin du jour, et à la place duquel il ne trouva qu’un valet qu’on lui dépêchait pour le faire venir, et pour l’avertir que M. de Tervire était subitement tombé dans une si grande défaillance qu’il ne parlait plus, et où enfin il expira avant que son fils fût arrivé. Quel coup de foudre pour mon père et pour ma mère ! et quelle différence de sort pour moi !

Il avait fait un testament qu’on trouva parmi ses papiers, et dans lequel il laissait tout le bien à son second fils, et ré-