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de recevoir une lettre de madame la marquise (elle parlait de ma mère), à qui j’écrivis ces jours passés que dans les dispositions où je vous trouvais, elle pouvait se préparer à vous voir bientôt religieuse ; et elle me charge de vous dire qu’elle vous aime trop pour s’y opposer si vous êtes bien appelée, qu’elle changerait bien son état contre celui que vous voulez prendre, qu’elle n’estime pas assez le monde pour vous y retenir malgré vous, et qu’elle vous permet d’entrer au couvent quand il vous plaira ; ce sont ses propres termes, et je prévois que vous profiterez peut-être dès ces jours-ci de la permission qu’on vous donne, ajouta-t-elle en me présentant la lettre de ma mère.

Les larmes me vinrent aux yeux pour toute réponse ; mais c’étaient des larmes de tristesse et de répugnance, on ne pouvait pas s’y méprendre à l’air de mon visage.

Qu’est-ce donc ? dit-elle, on croirait que cette lettre vous afflige ; est-ce que j’ai mal jugé de vous ? Tout le monde ici s’y est-il trompé, et n’êtes-vous plus dans les mêmes sentiments, ma fille ?

Que ne m’avez-vous consultée avant que d’écrire à ma mère ? lui repartis-je en sanglotant : vous achevez de me perdre auprès d’elle, madame. Je ne serai point religieuse ; Dieu ne me veut pas dans cet état-là.

À ce discours, je vis madame de Sainte-Hermières immobile, et presque pâlissante ; ses amis se regardaient et levaient les mains d’étonnement.

Ah ! Seigneur, vous ne serez point religieuse ! s’écria-t-elle ensuite d’un ton douloureux qui signifiait, où en suis-je ! Et il est vrai que je lui ôtais l’espérance d’une aventure bien édifiante pour le monde, et par conséquent bien glorieuse pour elle. Après toute la dévotion que je tenais d’elle et de son exemple, il ne me manquait plus qu’un voile pour être son chef-d’œuvre.

Ne vous effrayez point, lui dit alors en souriant d’un air plein de foi un de ceux qui étaient présents ; je m’y attendais ; ceci n’est qu’un dernier effort de l’ennemi de Dieu contre elle. Vous l’y verrez peut-être voler dès demain à