Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/483

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plume ; voulez-vous bien écrire pour moi ? Volontiers, lui dis-je ; vous n’avez qu’à dicter. Il ne s’agit que d’un mot, reprit-elle, et le voici :

« Vous savez que je vous attends ce soir ; ne me manquez pas. »

Je lui demandai si elle voulait signer. Non, me dit-elle, il n’est pas nécessaire ; elle saura bien ce que cela signifie.

Aussitôt elle prit le papier : Sonnez, monsieur, dit-elle à l’abbé ; il est temps qu’on le porte. Mais non, arrêtez ; vous ne souperez point avec nous, cela ne se peut pas ; je suis même d’avis que vous nous quittiez avant que le baron arrive, et vous aurez la bonté de rendre, en passant, le billet à madame de Clarville ; vous ne vous détournerez que d’un pas.

Donnez, madame, répondit-il ; votre commission va être faite. Il se leva et partit. À peine venait-il de sortir, que le baron entra avec un de ses amis. Nous soupâmes fort tard ; madame de Clarville, que je ne connaissais pas, ne vint point. Madame de Sainte-Hermières ne fit pas même mention d’elle. Après le souper, nous entendîmes sonner onze heures.

Mademoiselle, me dit madame de Sainte-Hermières, il est assez tard pour une convalescente ; vous devez demain être à l’église à cinq heures du matin, allez vous reposer. Je n’insistai point, je pris congé de la compagnie, et de M. de Sercour, qui me prit par la main, et ne fit que l’approcher de sa bouche, sans la baiser.

Madame de Sainte-Hermières pâlit en m’embrassant. Vous avez plus besoin de repos que moi, lui dis-je, et je partis ; une de ses femmes me suivit jusqu’à ma chambre, dont la clef était à la porte ; elle me déshabilla en partie ; je la renvoyai avant que de me mettre au lit, et elle emporta ma clef.

Il faut vous dire que je logeais dans une aile du château assez retirée, et qui, par un escalier dérobé, rendait dans le jardin, d’où l’on pouvait venir à ma chambre.