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de-ce bijou ? À quoi veux-tu que je l’emploie ? Je ne pourrais le prendre que pour toi, et je t’en ai donné de plus beaux (comme il était vrai). Non, ma fille, reprends-le, ajouta-t-elle tout de suite en me le rendant d’un air triste ; ôte-le de ma vue ; il me rappelle une petite bague que j’ai eue autrefois, qui était, ce me semble, pareille à celle-ci, et que j’avais donnée à mon fils sur la fin de ses études.

À ce discours, je remis promptement la bague dans le papier d’où je l’avais tirée, et l’assurai bien qu’elle ne la verrait plus.

Attends, reprit-elle, j’aime mieux que tu proposes demain à ton jeune homme de lui prêter quelque argent, qu’il te rendra, lui diras-tu, quand il aura vendu son bijou. Voilà dix écus pour lui ; qu’on te les rende ou non, je ne m’en soucie guère, et je les donne, quoiqu’il ne faille pas le lui dire.

Je m’en garderai bien, lui repartis-je en prenant cette somme qui était bien au-dessous de la générosité que je me sentais, mais qui, avec quelque argent que je résolus d’y joindre, deviendrait un peu plus digne du service que j’avais envie de rendre ; car de l’argent, j’en avais : madame Dursan, qui, dans les occasions, voulait que je jouasse, ne m’en laissait point manquer.

Tout mon embarras fut de savoir comment je ferais le lendemain pour offrir cette somme au jeune homme en question, sans qu’il en rougît, à cause de l’indigence des siens, ni qu’il pût entrevoir qu’on donnait cet argent plus qu’on ne le prêtait.

J’y rêvai donc avec attention, j’y rêvai le soir, j’y rêvai étant couchée. J’arrangeai ce que je lui dirais, et j’attendis le lendemain sans impatience, mais aussi sans cesser un instant de songer à ce lendemain.

Il arriva donc ; et ma première idée, en me réveillant, fut de penser qu’il était arrivé.

J’étais avec madame Dursan sur la terrasse du jardin, et nous nous y entretenions toutes deux assises après le dîner, quand on vint me dire qu’un étranger, qui était dans