Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/521

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l’ai bien assurée qu’elle serait contente de vous, et je ne crains pas de l’avoir trompée.

Je n’ose encore répondre que de mon zèle et des efforts que je ferai pour plaire à madame, répondit la fausse Brunon. Elle tint ce discours de la manière du monde la plus engageante. Je ne m’étonnai point que Dursan le fils l’eût tant aimée, et je n’aurais pas été surprise qu’alors même on eût pris de l’inclination pour elle.

Aussi madame Dursan la mère se sentit prévenue en sa faveur. Je crois, dit-elle à madame Dorfrainville, que je ne hasarde rien à vous remercier d’avance ; Brunon me revient tout à fait, j’en ai la meilleure opinion du monde, et je serais fort trompée moi-même si je n’achève pas ma vie avec elle. Je ne fais point de marché, Brunon ; vous n’avez qu’à vous fier à moi là-dessus : on me dit que je serai contente de vous, et vous le serez de moi ; mais n’avez-vous rien apporté avec vous ? C’est à côté de moi que je vous loge, et je vais dire à une de mes femmes qu’elle vous mène à votre chambre.

Non, non, ma tante, lui dis-je au moment qu’elle allait sonner ; je suis bien aise de la mettre au fait ; n’appelez personne ; je vais prendre quelque chose dans ma chambre, et je lui montrerai la sienne en passant. Elle a laissé deux cassettes chez moi que je lui enverrai tantôt, dit madame Dorfrainville. Je vous en prie, répondit ma tante. Allez, Brunon, voilà qui est fini, vous êtes à moi, et je souhaite que vous vous en trouviez bien.

Ce n’est pas de moi que je suis en peine, repartit Brunon avec son air modeste. Elle me suivit ensuite, et en sortant nous entendîmes ma tante qui disait à madame Dorfrainville : Cette femme-là a été belle comme un ange.

Je regardai Brunon là-dessus, et je me mis à rire : Trouvez-vous ce petit discours d’assez bon augure ? lui dis-je ; voilà déjà son fils à demi justifié.

Oui, mademoiselle, me répondit-elle en me serrant la main, ceci commence bien ; il semble que le ciel bénisse le parti que vous m’avez fait prendre.