Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/564

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n’allais pas plus loin ; et, à mon avis, c’était bien en imaginer assez pour la plaindre, et pour penser qu’elle souffrait.

L’impossibilité de la trouver m’avait déterminée à laisser passer huit ou dix jours avant de retourner chez le marquis son fils, qui devait, dans l’espace de ce temps, être revenu de la campagne ; je ne doutais pas que je n’eusse chez lui des nouvelles de ma mère, qui aurait attendu qu’il fût de retour pour ne pas reparaître inutilement dans sa maison.

Deux ou trois jours après qu’on eut porté de notre part de l’argent à cette inconnue, nous sortîmes entre onze heures et midi, madame Darcire et moi, pour aller à la messe (c’était un jour de fête) ; et en revenant au logis, je crus apercevoir, à quarante ou cinquante pas de notre carrosse, une femme que je reconnus pour cette femme de chambre à qui nous avions parlé chez le marquis de Viry, rue Saint-Louis.

Vous vous souvenez bien que je lui avais promis de renvoyer le surlendemain savoir la demeure de madame Darneuil, qu’elle n’avait pu m’apprendre la première fois, et j’avais exactement tenu ma parole ; mais on avait dit qu’elle était sortie, et par distraction j’avais moi-même oublié d’y renvoyer depuis, quoique c’eût été mon dessein : aussi fus-je charmée de la rencontrer si à propos, et je la montrai aussitôt à madame Darcire, qui la reconnut comme moi.

Cette femme, qui nous vit de loin, parut nous remettre aussi, et resta sur le pas de la porte de l’aubergiste, chez lequel nous jugeâmes qu’elle allait entrer.

Nous fîmes arrêter quand nous fûmes près d’elle, et aussitôt elle nous salua. Je suis bien aise de vous revoir, lui dis-je ; je soupçonne que vous allez chez madame Darneuil, ou que vous sortez de chez elle ; ainsi vous me direz sa demeure.

Si vous voulez bien avoir la bonté, nous répondit-elle, d’attendre que j’aie dit un mot à une dame qui loge dans cette auberge, je reviendrai sur-le-champ répondre à votre question, mademoiselle, et je ne serai qu’un instant.