Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/63

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sur la terre qui me connaisse : je ne suis la fille ni la parente de qui que ce soit. À qui demanderai-je du secours ? Qui est-ce qui est obligé de m’en donner ? Que ferai-je en sortant d’ici ? L’argent que j’ai ne me durera pas longtemps, on peut me le prendre, et voilà la première fois que j’en ai et que j’en dépense.

Ce bon religieux ne savait que me répondre ; je crus même voir à la fin que je lui étais à charge, parce que je le conjurais de me conduire ; et ces bonnes gens, quand ils vous ont parlé, qu’ils vous ont exhorté, ils ont fait pour vous tout ce qu’ils peuvent faire.

De retourner à mon village, c’était une folie : je n’y avais plus d’asile ; je n’y trouverais qu’un vieillard tombé dans l’imbécillité, qui avait tout vendu pour nous envoyer le dernier argent que nous avions reçu, et qui achevait de mourir sous la tutelle d’un successeur que je ne connaissais pas, à qui j’étais inconnue, ou pour le moins indifférente. Il n’y avait donc nulle ressource de ce côté-là, et en vérité la tête m’en tournait de frayeur.

Enfin, ce religieux, à force de chercher et d’imaginer, pensa à un homme de considération, charitable et pieux, qui s’était, disait-il, dévoué aux bonnes œuvres, et à qui il promit de me recommander dès le lendemain. Mais je n’entendais plus raison, il n’y avait point de lendemain à me promettre ; je ne pouvais supporter d’attendre jusque-là, je pleurais, je me désolais : il voulait sortir, je le retenais, je me jetais à ses genoux : Point de lendemain, lui disais-je, tirez-moi d’ici tout à l’heure, ou bien vous allez me jeter au désespoir. Que voulez-vous que je fasse ici ? On m’y a déjà pris une partie de ce que j’avais ; peut-être cette nuit me prendra-t-on le reste : on peut m’enlever, je crains pour ma vie, je crains pour tout, et assurément je n’y resterai point, je mourrai plutôt, je fuirai, et vous en serez fâché.

Ce religieux alors, qui était dans une perplexité cruelle, et qui ne pouvait se débarrasser de moi, s’arrêta, se mit à rêver un moment, ensuite prit une plume et du papier, et écrivit un billet à la personne dont il m’avait parlé. Il me