Page:Marmette - Le chevalier de Mornac, 1873.djvu/102

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votre organisation, anéantis par cette blessure quasi mortelle. Longtemps même, quelquefois, vous vous êtes traînés endoloris dans le rude sentier de votre jeunesse désenchantée, heurtant vos pieds meurtris contre toutes les aspérités de la route, laissant tomber, sur chaque buisson d’épines qui la bordent toutes les larmes de vos yeux et le sang le plus riche de vos veines ; jusqu’à ce qu’un jour, ranimés par cette vigueur généreuse du jeune âge, vous avez senti votre corps se redresser, vos pas se raffermir et votre tête se relever fièrement vers le ciel.

Vous étiez guéris, hélas ! de la douloureuse blessure de l’amour, et le sourire amer arrêté sur votre lèvre pâle en témoignait assez ! Alors dans un transport de réaction enthousiaste, sentant frémir en vous le souffle du génie, attirés par cet abîme d’aspirations dont vous ressentiez sans cesse l’attraction puissante, vous vous êtes écriés :

— À moi la gloire !

Malheureux ! les cicatrices de vos blessures saignaient encore et vous alliez courtiser une autre femme ! Car ne saviez-vous pas que la gloire est femme, elle aussi ? Ignoriez-vous que la séduisante fée cache sous ses caresses autant de coquette perfidie, le même raffinement de cruauté que cette belle fille d’Ève qui venait de flétrir et d’effeuiller en riant les plus belles fleurs de votre jeunesse.

Non, vous n’en aviez pas conscience, ou si vous le saviez vous avez choisi la renommée comme le seul mal digne de vous tuer !

Ah ! la gloire ! si l’on connaissait comme elle sait bien torturer ses amants, courrait-on avec autant d’ardeur après elle ?……

Ô nous qui lisons les œuvres des poètes, qui nous laissons bercer par les harmonies ravissantes d’un grand compositeur, nous qui envions leur génie, savons-nous combien il faut de larmes pour faire surnager un beau vers, et pouvons-nous entendre les sanglots déchirants de l’artiste se plaindre dans chacune de ces phrases musicales qui nous font rêver au ciel ?

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Dix mois plus tard, Jolliet, en découvrant le Mississippi, attachait à son nom l’immortalité.


FIN.