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Animés par la vue du sang, tous ces barbares voulurent avoir leur part de jouissances, et chacun se mit à cribler le captif de coups de couteau.

Quand son corps ne fut plus qu’une masse de chairs saignantes, quand leur imagination diabolique fut à bout d’expédients de tortures, ils entassèrent des branches mortes aux pieds du supplicié, y mirent le feu et, se tenant tous par la main, se mirent à danser en rond avec des cris de joie.

C’était une horrible scène.

Le vent s’était élevé et soufflait fortement du large avec la marée montante.

Ses sifflements se mêlaient au grand bruit des vagues qui se brisaient sur les rochers de l’île avec de rauques clameurs ; tandis que des cris sinistres de huards s’élevaient au loin dans la nuit orageuse, comme l’écho des affreuses lamentations de la victime.

Pleinement éclairés par la lueur du feu, huit démons nus dansaient une ronde effrénée autour de l’arbre qui retenait le pauvre Jean. Souvent renouvelés dans ses orbites, les tisons ardents jetaient une sanglante lueur sur la face mutilée du supplicié dont les yeux pendaient sinistrement à la place des joues, tandis que les dents, découvertes par suite de l’absence des lèvres, grimaçaient un rire effroyable.

En ce moment Jeanne de Richecourt reprit connaissance et ses yeux égarés s’arrêtèrent sur ce spectacle infernal. Ce qu’elle vit était tellement horrible qu’elle s’évanouit de nouveau ; et, si courte que fût cette vision, elle était tellement épouvantable qu’elle se grava pour toujours dans sa mémoire.

En lâche qu’il était, Vilarme, la figure d’un jaune livide, tremblait de tous ses membres.

Quant à Mornac, on voyait la violente crispation de ses mâchoires sous ses joues pâlies ; et les muscles de ses bras, fortement tendus sous les liens qui le retenaient attaché, témoignaient des vains efforts qu’il faisait pour s’élancer sur les bourreaux.

À mesure que le feu, après avoir consumé les jambes, montait en rongeant les parties plus vitales du corps, les cris du martyr diminuaient d’intensité. Il ne proféra plus bientôt que des gémissements douloureux qui semblaient être la lugubre symphonie à laquelle le grand bruit triste au vent et des vagues servaient d’accompagnement.

La vie du jeune homme dura pourtant longtemps encore ; et, pendant longtemps la ronde satanique tournoya rapide et hurlante autour de la victime.

Mornac épuisé par les efforts considérables qu’il avait faits pour rompre ses liens, était tombé dans une espèce d’engourdissement qui ressemblait au sommeil. À travers les brumes de cette somnolence, il entrevoyait le cercle horrible qui tournait, tournait infatigable ; et au centre cette effrayante figure penchée sur un corps entrouvert, d’où pendaient les entrailles et fléchissant à moitié sur les longs os des jambes dépouillées de leurs chairs.

C’était un indicible cauchemar.

Enfin, la flamme ayant gagné le dessous des bras, les liens d’écorce, qui retenaient encore le supplicié debout, prirent feu, se rompirent, et le corps s’affaissa dans le brasier avec un dernier sanglot d’agonie…

Il était deux heures du matin, et les Iroquois rassasiés dans leur cruauté songèrent au départ. Le vent tombait et bien que la mer fut un peu grosse, ils voulaient profiter de la marée montante pour passer devant Québec à la faveur des ténèbres.

Jeanne, toujours évanouie, fut placée au fond d’un canot. Quant à Mornac et à Vilarme, on les coucha, tout garrottés en d’autres pirogues, après leur avoir bien recommandé de ne point bouger. Comme il leur était impossible de nager, ils seraient noyés du coup, leur dit Griffe-d’Ours, si les canots venaient à chavirer.

En quelques instants, tout fut prêt pour le départ, et la petite flottille quitta l’île Madame.

La tête relevée et appuyée sur la pince d’avant du canot de Griffe-d’Ours, Mornac entrevit pendant quelque temps le brasier qui projetait sur l’îlot ses lueurs mourantes. Au milieu des charbons ardents qui pétillaient sous la brise, on distinguait le corps noir et informe du pauvre Jean Couture.

Peu à peu, à mesure que les canots remontaient le fleuve, en route pour le pays des Iroquois, le feu s’éteignit ou disparut dans l’éloignement.


CHAPITRE IX.

bourreaux et victimes.

On peut se figurer le serrement de cœur qu’éprouvèrent les captifs, lorsqu’ils passèrent devant Québec. Bien que la nuit touchait à sa fin, le jour n’était pas encore assez avancé pour qu’on les pût remarquer de la ville où la plupart des habitants dormaient encore.

Griffe-d’Ours, afin de prévenir toute tentative de fuite, avait dit aux prisonniers qu’il casserait la tête au premier qui ouvrirait la bouche pour crier à l’aide. Aussi les malheureux ne purent-ils que jeter un regard d’angoisse sur cette ville qu’ils ne reverraient peut-être plus.

En longeant la rive opposée, les Iroquois passèrent inaperçus devant Sillery et le Cap-Rouge.

À part le poste des Trois-Rivières, trente lieues en amont de Québec, les deux rives du fleuve étant alors désertes et inhabitées jusqu’à l’embouchure du Richelieu, les captifs n’avaient presque plus, maintenant, aucune chance d’être délivrés.

Arrivés à l’endroit où se trouve aujourd’hui la Pointe-aux-Trembles, les Iroquois prirent terre pour se reposer, manger et tourmenter un peu leurs prisonniers.

Ils commencèrent d’abord par dépouiller Mornac et Vilarme de tous leurs habits. Mais comme il fallut délier ceux-ci pour les déshabiller, ce ne fut pas sans conteste que Mornac se laissa faire. D’un coup de poing vigoureusement asséné, le Gascon envoya rouler à cinq pas le premier Iroquois qui voulut porter la main sur lui. Celui-ci se releva furieux, au milieu des rires de ses compagnons et voulut s’élancer, le casse-tête au poing, sur le cheva-