Page:Marmette - Le chevalier de Mornac, 1873.djvu/98

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Je désire scalper le prisonnier moi-même. Ce sera la dernière chevelure que mes mains débiles enlèveront !

Bien qu’on eût murmuré contre lui, lors des désastres de la nation, le chef huron vu sa bravoure et sa qualité de grand chef, jouissait encore d’une grande considération parmi les siens.

On lui fit donc place en le regardant avec curiosité. Car l’état de faiblesse où il semblait être ne paraissait pas devoir lui permettre de scalper la victime.

Le Renard-Noir parut faire un effort suprême et se dégagea du bras de Joncas qui l’avait toujours soutenu. Il fit trois pas vers Griffe-d’Ours étendu, garrotté par terre, tira son couteau de la gaine qui pendait à sa ceinture, se baissa, souleva péniblement l’Iroquois par sa touffe de cheveux et, enfin, l’assit tout à fait. Puis il appuya de toute sa pesanteur son genou gauche dans le dos de Griffe-d’Ours, lui cerna la peau du crâne d’un coup de la pointe de son couteau à scalper, saisit la chevelure à deux mains et tira violemment dessus. Mais ses forces le trahirent et il s’affaissa à genoux auprès de sa victime.

On vit le sang couler à travers les bandages qui couvraient la blessure du Huron.

Joncas s’avança pour le relever et l’entraîner à l’écart.

Le Renard-Noir lui jeta un regard de reproche et se releva seul en chancelant.

Le Canadien le laissa faire.

Le Huron appuya son pied gauche sur l’épaule de Griffe-d’Ours, raidit tous ses muscles et donna un coup terrible sur la chevelure qui lui resta dans les mains avec la peau du crâne toute dégoutante de sang.

Mais, épuisé par cet effort et manquant tout à coup de point d’appui le chef huron tomba à la renverse.

Joncas le reçut dans ses bras.

Griffe-d’Ours ne poussa pas une plainte. On ne vit remuer aucun des muscles de son visage.

Avec un mépris extrême il regarda le Huron et lui dit :

— D’un seul coup de couteau la Main-Sanglante a tellement affaibli le bras du Huron qu’il ne lui reste pas plus de force qu’à celui d’une femme ! Quand je scalpai Fleur-d’Étoile et tes fils je leur enlevai la chevelure du premier coup !

À ces horribles souvenirs le Renard-Noir sentit la rage brûler son cœur. Il fit un mouvement pour repousser Joncas et se jeter sur Griffe-d’Ours. Mais un éclair de réflexion le retint.

— Non ! murmura-t-il, je suis à bout de force et mourrais avant lui. Mon frère, dit-il à Joncas, assieds-moi sur cet arbre renversé que je voie tout.

Le poteau était solidement planté sur le point culminant du tertre. On releva Griffe-d’Ours pour l’y attacher.

Alors on commença à torturer le chef iroquois. Les uns lui coupaient des lambeaux de chair avec leurs couteaux ou lui désarticulaient les doigts, d’autres lui appliquaient des tisons sur ces plaies saignantes. Celui-ci lui jetait des cendres chaudes dans les yeux ou lui ouvrait les mâchoires avec la lame d’un couteau pour lui faire entrer de force dans la bouche un charbon enflammé. Ceux-là promenaient par tout son corps des flambeaux allumés.

Griffe-d’Ours impassible au milieu des tortures semblait désirer, au contraire, d’aiguillonner la rage de ses bourreaux.

— Allez donc, chiens ! disait-il avec un mépris écrasant, où avez-vous appris à tourmenter un guerrier ? Vous n’y entendez rien ! Oh ! si vous m’aviez vu caresser vos parents, lorsque nous détruisîmes vos bourgades sur les bords du grand lac !

Ces paroles redoublaient la frénésie des Hurons.

Enfin, quand tout le corps du chef iroquois ne fut plus qu’une plaie vive, les Sauvages entassèrent du bois à ses pieds et mirent le feu au bûcher.

Alors, on vit griller les chairs de Griffe-d’Ours et la graisse couler en grésillant sur son corps ensanglanté.

À cette vue la figure du Renard-Noir brilla d’un éclair de bonheur. Et lui qui, tantôt chancelait entre les bras de Joncas, dit avec ravissement :

— Cela me réchauffe !

Mais tout à coup le feu ayant monté entre le poteau et la victime, brûla les liens qui l’y retenaient attachée.

Griffe-d’Ours tomba en plein au milieu des flammes.

Un instant il y demeure affaissé.

On le croit mourant. Mais soudain il se redresse, saisit dans chacune de ses mains meurtries deux brandons enflammés, se lève et les lance au milieu des spectateurs ébahis.

À peine revenus de leur étonnement ceux-ci lui jettent tous les projectiles qui leur tombent sous la main. Pierres, haches, tisons pleuvent sur lui. Il leur répond de même et repousse les assaillants qui veulent escalader le tertre.

C’est une horrible lutte !

En se baissant il glisse et tombe de nouveau dans le feu.

Chacun se précipite sur lui pour le maintenir dans le brasier. Mais l’Iroquois se roule dans les flammes, se débarrasse de toute étreinte, bondit encore une fois sur ses pieds, et, armé de deux tisons enflammés, se jette tête baissée sur ses ennemis qui, épouvantés, fuient devant cet homme terrible.

En poursuivant la cohue Griffe-d’Ours passa devant le Renard-Noir qui lui barra les jambes et le fit tomber.

Les autres revinrent et se jetèrent sur le chef iroquois.

Le Renard-Noir riait d’un rire muet.

On maintint Griffe-d’Ours à terre, et, en quatre coups de hache on lui coupa les pieds et les mains, et on le rejeta dans les flammes.

Anéanti un instant par l’ébranlement nerveux que lui avait causé cette quadruple amputation, l’Iroquois resta sans bouger au milieu du brasier.

Mais tout à coup, ô horreur ! on vit ce corps mutilé, déchiré, brûlé, s’agiter encore, se rouler sur lui-même et se soulever à demi sur ces tisons ardents ; et là, montrant à nu son crâne