Page:Marmier - Les Perce-Neige, 1854.djvu/33

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Silio était extrêmement gai, et bientôt la gaieté devint générale. Les bouchons sautaient sans cesse au plafond et sans cesse les verres étaient remplis d’un vin pétillant. Nous bûmes avec ardeur au bon voyage et à la prospérité de celui qui allait nous quitter, et il était tard lorsque nous nous levâmes pour nous retirer. Silio nous dit adieu à tous ; et, me prenant par la main au moment où j’allais sortir : « Il faut que je vous parle, » me dit-il à voix basse ; et je restai.

Nous étions seuls. Nous nous assîmes l’un en face de l’autre, fumant en silence. La gaieté bruyante de Silio avait disparu. Il était triste. À voir sa pâleur sinistre, ses regards où brillait un feu sombre, et la fumée qui lui sortait des lèvres, on eût dit un vrai démon. Quelques instants se passèrent. Il rompit le premier le silence.

— Il est possible, me dit-il, que nous ne nous revoyions jamais. Avant de nous séparer, j’ai voulu avoir une explication avec vous. Vous avez pu remarquer que je me soucie peu de l’opinion des autres ; mais j’ai de l’affection pour vous, et je sens qu’il me serait pénible de vous laisser une fausse idée de moi…

Il s’arrêta, attisa le feu de sa pipe. J’attendais son récit sans mot dire, la tête baissée.

— Il vous a paru étrange, reprit-il, que je ne demandasse pas une satisfaction à ce stupide ivrogne de lieutenant. Vous conviendrez pourtant que, comme j’aurais eu le choix des armes, sa vie était entre mes