Page:Martin du Gard - Le Cahier gris.djvu/31

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— « Dès la première heure ? » répéta machinalement M. Thibault. Il se mit debout. « En attendant, c’est une nuit blanche », soupira-t-il, et il se dirigea vers la porte.

L’abbé le suivit. Sur le seuil, le gros homme tendit au prêtre sa main flasque :

— « Je suis atterré », soupira-t-il, sans ouvrir les yeux.

— « Nous allons prier le bon Dieu pour qu’il nous assiste tous », dit l’abbé Binot avec politesse.


Le père et le fils firent quelques pas en silence. La rue était déserte. Le vent avait cessé, la soirée était douce. On était dans les premiers jours de mai.

M. Thibault songeait au fugitif. « Au moins s’il est dehors, il n’aura pas trop froid. » L’émotion amollit ses jambes. Il s’arrêta et se tourna vers son fils. L’attitude d’Antoine lui rendait un peu d’assurance. Il avait de l’affection pour son fils aîné ; il en était fier ; et il l’aimait particulièrement ce soir, parce que son animosité vis-à-vis du cadet s’était accrue. Non qu’il fût incapable d’aimer Jacques : il eût suffi que le petit lui procurât quelque satisfaction d’orgueil, pour