Page:Martin du Gard - Le Cahier gris.djvu/45

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— « Attendez », dit-elle, levant le bras pour le retenir, « C’était à onze heures moins dix. »

— « Exactement ? Vous en êtes sûre ? »

— « Oui. »

— « Vous avez regardé la pendule pendant qu’il était avec vous ? »

— « Non. Mais, à cette heure-là, j’ai été à la cuisine chercher de la mie de pain pour dessiner ; alors, s’il était venu avant, ou bien s’il était venu après, j’aurais entendu la porte et j’aurais été voir. »

— « Ah, c’est juste. » Il réfléchit un instant. À quoi bon la fatiguer davantage ? Il s’était trompé, elle ne savait rien. « Maintenant », reprit-il, redevenu médecin, « il faut rester au chaud, fermer les yeux, dormir. » Il ramena la couverture sur le petit bras découvert, et sourit : « Un bon somme : quand on se réveillera, on sera guérie, et le grand frère sera revenu ! »

Elle le regarda. Jamais il ne put oublier ce qu’il lut à ce moment-là dans son regard : une si totale indifférence pour tout encouragement, une vie intérieure déjà si intense, une telle détresse dans une telle solitude, qu’involontairement trouble, il baissa les yeux.