Page:Marx - Travail salarié et capital, 1931.djvu/160

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ment aux conditions de son milieu et de son pays, les moyens qui lui permettent de continuer à travailler et de se reproduire. Le salaire réel peut, du fait des fluctuations de l’industrie, être tantôt au-dessus, tantôt au-dessous de cette moyenne.

Une journée de travail équitable est la durée et l’effort de travail réellement fournis chaque jour par la force de travail. tout entière de l’ouvrier, sans qu’il devienne incapable de fournir le lendemain la même quantité de travail.

Ce cycle qui se reproduit constamment peut être décrit de la façon suivante : l’ouvrier donne au capitaliste sa pleine force de travail, c’est-à-dire autant qu’il peut en fournir pour rester en mesure de le faire continuellement. Pour cela il reçoit du capitaliste autant de moyens de subsistance — et pas plus — qu’il lui en faut pour pouvoir refaire chaque jour la même besogne. Singulière équité !

Mais regardons la chose de plus près. Puisque selon les enseignements de l’économie le salaire et le travail sont conditionnés par la concurrence, l’équité semble exiger que les deux parties soient dans des conditions égales et dans la même situation lorsqu’elles concluent un contrat de travail. Mais il n’en est pas ainsi. Si le capitaliste ne peut pas s’entendre avec l’ouvrier, il peut attendre et vivre sur son capital. L’ouvrier ne le peut pas. Il ne peut vivre que de son salaire et c’est pourquoi il lui faut accepter du travail dans les conditions les plus mauvaises. La faim le talonne avec une violence terrible. Et cependant les économistes des classes bourgeoises prétendent que c’est là le comble de l’équité.

Mais cela n’est encore qu’une bagatelle. L’utilisation de la force mécanique et des machines dans les nouvelles entreprises et l’extension et le perfectionnement des machines dans les anciennes entreprises privent continuellement des gens de leur travail. Et cela à un degré beaucoup plus rapide que celui où l’industrie peut ’reprendre à son service les forces de travail devenues superflues. Ces forces de travail en excédent fournissent au capital une armée industrielle de réserve. Lorsque la conjoncture du marché est mauvaise, l’ouvrier peut crever de faim, mendier, voler ou même aller à la « maison de travail ». Si la conjoncture est favorable, il doit travailler pour augmenter la production. Et tant que le dernier homme, la dernière femme et le dernier enfant de l’armée de réserve n’ont pas trouvé de travail, — chose qui déjà à elle seule suppose une époque de surproduction déchaînée — la concurrence comprime les salaires, cependant que, dans sa lutte contre le travail, la puissance du capital est renforcée par l’existence de l’armée de réserve. Dans sa rivalité avec le capital l’ouvrier n’est pas seulement poussé par la faim, il doit encore en outre traîner un boulet de canon rivé à son pied. Et c’est cela, selon l’économie capitaliste, qui s’appelle équité.