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Page:Massé - À vau-le-nordet, 1935.djvu/68

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à vau-le-nordet

peuvent être plus vertueux que vous autres qui levez le nez sur la pacotille de chez Woolworth ou qui zieutez avec convoitise les bijoux chez Siefert. La résistance aux instincts pervers de l’humaine nature, voilà, il me semble, la mesure de la vertu… Les gens à complexion lymphatique sont moins sollicités à la luxure que ceux de tempérament sanguin. Eh bien ! je soutiens que ceux-ci, même s’ils succombent, peuvent être plus vertueux que ceux-là qui s’abstiennent !…

— À ce compte-là, mon cher ami, les honnêtes gens sont peut-être de vils fripons et vice versa ?

— Mais oui, sans aucun doute ; la première occasion le démontrera. Pourquoi dites-vous qu’un homme est honnête ou vertueux, sans savoir comment il se comportera si vous lui fournissez l’occasion de voler ou de prévariquer… Tel homme ne vole pas ; est-ce à dire qu’il soit honnête ? Peut-être n’a-t-il jamais été tenté ! Peut-être aussi respecte-t-il le bien d’autrui par crainte d’être découvert. Il est peut-être honnête par couardise ; il n’a pas le courage moral de commettre une mauvaise action… Ça me fait penser à ces natures indolentes et passives qui, au collège, décrochaient infailliblement le prix de sagesse. Des pendards, des sacripants in potentia et qui, une fois libérés de la règle, se sont laissés aller aux pires excès.

— Il y a du vrai là-dedans, intervint Bégin. Ainsi, on ne peut pas dire d’un homme qui déteste la boisson, qu’il est sobre.