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Page:Massé - Mena’sen, 1922.djvu/73

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Trois mois, trois longs mois se sont écoulés depuis l’expédition de Guarfil. Des cent douze prisonniers ramenés à Chambly puis dirigés sur Saint-François, il en reste à peine une cinquantaine. Plusieurs ont succombé à leurs blessures, d’autres ont réussi à s’enfuir, les moins robustes n’ont pu survivre aux privations.

La belle saison venue, de Chambly où ils ont passé le reste de l’hiver dans des casernes aménagées à la hâte à même les ruines du fort récemment incendié, on les a amenés à Saint-François où ils sont moins à charge. Dans l’isle que les sauvages appellent Pekeda, c’est-à-dire, l’isle du Feu, on a construit, à peu de frais, des baraques qui, sans offrir le confortable, les préservent des intempéries. C’est là qu’ils sont cantonnés pour la belle saison, prisonniers du fleuve Alsiganteka plutôt que de l’unique gardien, Pierre Montour, chargé d’avitailler les insulaires et qui habite un petit pavillon muré, au pointis d’aval de l’isle. Lui seul a une barque qu’il tient solidement amarrée dans sa cabane, sur la grève. Au besoin, un signal d’alarme, un coup de fusil amènerait à la rescousse des centaines d’Abénaquis de la réserve.

Le fleuve rapide, la forêt impénétrable, l’Abénaquis cruel, voilà de précieux auxiliaires pour une sentinelle qui ne se soucie guère des ennuyeuses factions. Aussi, passe, lecteur, tout va bien ! Ils sont là cinquante à la figure hâve, aux yeux hagards, aux traits émaciés, groupe morne et abattu sur qui planent, comme des vautours, le chagrin et le désespoir. Ils n’osent se parler de crainte d’aviver leur souffrance. Que se dire, en effet, sans évo-