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MES SOUVENIRS

d’Amadis. À côté de ses valeurs, il mit donc à l’abri des papiers... sans valeur. Ces partitions étaient manuscrites.

Vous connaissez, mes chers enfants, la destinée de Werther ; peut-être apprendrez-vous un jour celle d’Amadis, dont le poème est de notre grand ami Jules Claretie, de l’Académie française.

Mon anxiété, on le devine, était extrême. Je m’attendais à voir mon labeur de tant d’années dispersé chez tous les éditeurs. Où irait Manon ? Où échouerait Hérodiade ? Qui acquerrait Marie-Magdeleine ? Qui aurait mes Suites d’orchestre ? Tout cela agitait confusément ma pensée et la rendait inquiète.

Hartmann, qui m’avait toujours manifesté tant d’amitié et qui eut un cœur si sensible à mon égard, devait avoir, j’en suis persuadé, autant de tristesse que moi-même de cette très pénible situation.

Henri Heugel et son neveu, Paul-Émile Chevalier, propriétaires de la grande maison le Ménestrel, devaient être mes sauveurs. Ils allaient être les pilotes qui gareraient du naufrage tous les travaux de ma vie passée, empêcheraient qu’ils soient disséminés, qu’ils courent les risques de l’aventure ou du hasard.

Ils acquirent en bloc tout le fonds d’Hartmann et le payèrent un prix considérable.

En l’année 1911, au mois de mai, je leur donnais l’accolade du vingtième anniversaire des bons et affectueux rapports que nous n’avons jamais cessé d’avoir ensemble, et je leur exprimais, en même temps, la gratitude émue que je leur en conserve.

Que de fois j’étais passé devant le Ménestrel, enviant, sans aucune pensée hostile, d’ailleurs, ces