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MES SOUVENIRS

Il nous reçut, ainsi que Mme Mistral, dans sa demeure de Maillane, que sa présence idéalisait. Comme, avec cette science de la forme, il montrait bien, quand il nous parlait, qu’il possédait ces connaissances générales qui font le grand écrivain et doublent le poète d’un artiste ! En le voyant, nous nous rappelions cette Belle d’août, poétique légende, pleine de larmes et de terreurs, puis cette grande épopée de Mireille, et tant d’autres œuvres encore qui l’ont rendu célèbre.

Oui, par l’allure, par la vigueur de cette belle stature, on sent bien en lui un enfant de la campagne, mais il est gentilhomme fermier, gentleman farmer, comme disent les Anglais ; il n’est pas, pour cela, plus paysan, comme il l’écrivit à Lamartine, que Paul-Louis Courier, le brillant et spirituel pamphlétaire, ne fut vigneron.

Nous revînmes à Avignon, pénétrés du charme indicible et si enveloppant des heures que nous avions passées dans la maison de cet illustre et grand poète.

L’hiver qui suivit fut entièrement consacré aux répétitions de Thaïs, à l’Opéra. Je dis à l’Opéra, et, pourtant, j’avais écrit l’ouvrage pour l’Opéra-Comique, auquel appartenait Sanderson. Elle y triomphait dans Manon, trois fois par semaine.

Quelle circonstance m’amena à ce changement de théâtre ? La voici : Sanderson, que l’idée d’entrer à l’Opéra avait éblouie, s’était laissée aller à signer avec Gailhard, sans se préoccuper d’en informer à l’avance Carvalho.

Quelle ne fut pas notre surprise, à Heugeletà moi, lorsque Gailhard nous avisa qu’il allait jouer Thaïs