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MES SOUVENIRS

cinq ou six partitions, les mains en l’air pouvant à peine atteindre le clavier. Évidemment, c’était l’exagération de la vérité, mais d’une vérité cependant bien prise sur le fait.

J’accompagnais parfois Cham chez une aimable et belle amie qu’il possédait rue Taranne. J’étais naturellement appelé à « toucher du piano ». J’ai même souvenance, qu’un soir que j’étais invité à me faire entendre, je venais de recevoir les troisièmes accessits de piano et de solfège, ce dont deux lourdes médailles de bronze, portant en exergue les mots : « Conservatoire impérial de musique et de déclamation », témoignaient. On m’en écoutait davantage, c’est vrai, mais je n’en étais pas moins ému pour cela, au contraire !

Au cours de mon existence j’appris, pas mal d’années plus tard, que Cham avait épousé la belle dame de la rue Taranne, et que cela s’était accompli dans la plus complète intimité. Comme cette union le gênait un peu, Cham n’en avait adressé aucune lettre de faire-part à ses amis, ce qui les avait étonnés ; sur l’observation qu’ils lui en adressèrent, il eut ce joli mot : « Mais si, j’ai envoyé des lettres de faire-part… elles étaient même anonymes ! »

Malgré la touchante surveillance de ma mère, je m’échappai un soir de la maison. J’avais su que l’on donnait l’Enfance du Christ, de Berlioz, dans la salle de l’Opéra-Comique, rue Favart, et que le grand compositeur dirigerait en personne.

Ne pouvant payer mon entrée et pris, cependant, d’une envie irrésistible d’entendre ainsi l’œuvre de celui qu’accompagnait l’enthousiasme de toute notre