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MES DISCOURS

saient tourner la tête tout aussi bien qu’une de ces mélodies rares écloses en sa fertile imagination.

On a dit qu’il y avait toujours un serpent caché sous les fleurs. Cela était vrai pour celles de Laval-Dieu, et le serpent prit ici la forme d’une robe de moine. Les parents de Méhul, bonnes gens fort simples, se demandèrent un moment pourquoi leur fils ne la revêtirait pas, cette robe, puisqu’il était si bien accueilli des religieux. Ils ne pensaient pas pouvoir élever plus haut leur ambition.

Eh ! mon Dieu, Méhul eût peut-être fait un excellent moine, mais quel artiste nous aurions perdu !

Les chanoines pourtant n’eussent pas demandé mieux, tant ils avaient pris en affection leur jeune élève. Heureusement celui-ci n’avait reçu qu’une éducation très rudimentaire et à toutes les avances il put répondre : « Je ne sais pas le latin », comme l’ingénue de Molière répondait : « Je ne sais pas le grec » aux savantins qui voulaient l’embrasser.

Et le voilà parti pour Paris, la ville où l’on trouve la gloire, mais au prix de quelles luttes et de quelles misères ! Méhul souff’rit des unes et des autres, touchant de l’orgue dans les églises et courant le cachet pour vivre médiocrement. Mais il eut bientôt des bonheurs inespérés.

Gluck, le grand Gluck, s’intéressa à lui et lui prodigua ses précieux conseils. Il y a plus d’une affinité entre le génie de ces deux illustres musiciens, et Méhul devait accomplir dans la forme de l’opéra-comique la même révolution que celle qu’avait accomplie Gluck dans l’opéra. Aux ariettes de Philidor il fit succéder des accents plus mâles et même, délaissant la