Page:Massenet - Mes souvenirs, 1912.djvu/325

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
MES DISCOURS
317

la Vierge avec Jésus gravissant la rude montagne pour se diriger vers Bethléem. Voici les palmiers qui abritèrent l’enfance du Christ.

Contraste saisissant, n’est-il pas, sur ces mêmes côtes souvent rugueuses de la Turbie, des coins désolés, des pierres arides, des chaos terrifiants où dans la nuit noire on croirait suivre la Course à l’abîme, la chevauchée sinistre de Faust et de Méphistophélès.

Mais, en redescendant vers la rive, sous ces berceaux, dans ces allées mystérieuses, on pourrait entendre les soupirs de Roméo promenant sa tristesse. La Fête chez Capulet n’est pas loin ; j’en entends souvent les fanfares joyeuses et les orchestres impétueux.

Ne croyez-vous pas aussi que les ombres d’Énée et de Didon aimeraient à errer sous ces voûtes de verdure épaisse et parfumée et à chanter leur amour au bord des flots murmurants, dans la chaude volupté d’une nuit d’été, sous les lueurs blanches des étoiles ?

Il dormira ainsi dans son rêve jusqu’au jour du jugement dernier, où les trompettes fulgurantes de son Requiem grandiose viendront le réveiller, en ranimant ce marbre pour en tirer son âme glorieuse.

Ainsi donc et jusque-là, cet agité dans la vie aura pu contempler le calme de cette mer clémente ; ce pauvre verra dans les airs comme des ruissellements d’or; ce cœur ulcéré sentira monter jusqu’à lui en un baume l’odeur des lis et des jasmins.

Oui ! c’était bien ici sa terre d’élection, celle où l’on devait faire à son oeuvre maîtresse, la Damnation, un si enthousiaste accueil en en animant encore davantage les personnages, en les transportant sur la scène, en les entourant du prestige des costumes et des