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MES DISCOURS

Vous vous rappellerez longtemps, mes jeunes amis, cette dernière visite pieuse que nous avons faite à son chevet, où déjà touché par l’aile de la raort, il eut pour vous, en apprenant la bonne nouvelle, un dernier regard d’affection, une dernière joie. Il souleva sa tête pâlie, et d’une voix qu’il croyait forte : « Nous allons sabler le Champagne, mes enfants, murmura-t-il. La coupe en main, célébrons le triomphe. » Pour un instant, votre chère présence l’avait ranimé. Ah ! conservez toujours le souvenir respectueux de votre maître et, dans les succès que l’avenir vous réserve gardez-lui sa part légitime.

Mais ce n’est certes pas la seule gloire à laquelle peut prétendre Lenepveu. Il se survivra non seulement dans ses élèves, mais encore dans son œuvre personnelle d’ouvrier d’art probe et souvent inspiré. Ainsi qu’il est arrivé pour beaucoup d’entre vous, sa famille, au début, fit tout pour le détourner d’une voie qu’elle estimait ne devoir le mener à rien et d’une carrière, pour tout dire, si parfaitement inutile. Que serait cette vie pourtant sans ces inutilités qui en sont la fleur et la seule vraie raison peut-être ? Voulant briser avec des fantaisies dangereuses, on l’envoie à Paris pour y faire ses études de droit. Nous ne savons trop ce qu’il advint de ses examens à la Faculté, mais, sous le manteau de Cujas et en gardant un profond anonymat, nous le voyons affronter des concours de musique en province, ici et là, pour chaque fois en sortir vainqueur. Et dès lors il ne résiste plus au flot qui l’emporte. De l’École de droit il saute d’un bond au Conservatoire, et de ses grandes jambes il y marche vite, je vous assure. Tous les