Page:Massicotte - Dollard des Ormeaux et ses compagnons, 1920.djvu/11

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 13 —

L’admiration que nous éprouvons devant le sacrifice de Dollard et ses compagnons est entière et sans mélange ; nous sentons pleinement qu’il est impossible à l’âme humaine de s’élever plus haut. À la fois preux et martyrs, nos héros canadiens unissent les deux gloires les plus belles.

M. Émile Faguet, analysant à sa façon raisonnante l’esprit de sacrifice, dans son traité du Devoir, cherche à s’expliquer après Nietzche, l’état d’âme du soldat qui souhaite de tomber sur le champ de bataille pour sa patrie victorieuse et qui, dans le triomphe de la patrie, trouve le triomphe de son vœu suprême.

“Si je voulais, dit-il, m’acharner à trouver un atome d’amour de soi dans l’acte en question, je dirais peut-être : le citoyen qui meurt pour sa patrie, l’homme qui meurt pour sauver les passagers de son vaisseau ou les voyageurs de son train, s’enivrent de cette pensée qu’ils seront bénis et glorifiés, qu’ils laissent à leur famille l’héritage d’un héroïsme et cela, — puisque nous ne pouvons jamais nous figurer morts absolument, anéantis, — ils le sauront, ils le sauront un peu, ils en auront quelque sentiment confus qui sera une joie. Après tout, le désir de la gloire posthume, de la gloire qui s’attachera à une œuvre que nous ne publierons pas durant notre vie, — n’a pas d’autre raison d’être et ne peut s’analyser qu’ainsi. Oui, il doit y avoir, subsconsciemment, quelque chose comme cela dans l’âme du héros qui se sacrifie.”

M. l’abbé Paillon a répondu d’avance à cette analyse subtile qui diminue trop la valeur morale des plus beaux dévouements :

“Dollard et ses compagnons, écrit-il, méritent avec d’autant plus de justice les hommages de notre admiration et de notre reconnaissance que le motif de leur dévouement a été plus noble, plus sublime, plus pur. Dans toute l’histoire profane, on ne trouve rien de plus audacieux, de plus magnanime, que cette résolution de nos dix-sept braves, conçue avec tant de courage et soutenue jusqu’à la fin avec tant de constance et d’intrépidité. On voit, il est vrai, chez les Grecs et chez les Romains, des hommes se sacrifier pour leur patrie ; mais quand on connaît jusqu’où l’amour de la gloire profane les portait à des actions éclatantes dans l’espérance de se survivre à eux-mêmes après leur mort, on n’est pas surpris que cette passion ait pu leur faire mépriser la vie… Il faut à l’homme raisonnable des motifs d’intérêt personnel pour le déterminer au sacrifice de lui-même, et ce dévouement pur et désintéressé dont nous voyons tant d’exemple dans les martyrs, ne peut être inspiré que par la certitude inébranlable des espérances de la Foi. Ce fut ce motif qui détermina Dollard et ses compagnons d’armes à la résolution inouïe de se battre jusqu’au dernier soupir…

Éloignés de douze cents lieues de leur patrie, perdus au-delà de l’Océan dans des pays inhabités, ils étaient assurés que leur mémoire périrait avec eux et qu’aucun historien ne raconterait leurs actions.”